2025
François Thiéry-Mourelet, Crâne-caverne, suivi de Écorces déployées dans la nuit, Sans escale, 2025.
« Objectivement,
les êtres fantastiques existent. » Où cela ? Dans le « crâne-caverne »
du peintre – ou du poète, de tous ceux dont les « enfers intérieurs »
se peuplent d’étranges chimères, « des organismes courts, gluants,
moisis, peureux, brillants, secs, lumineux, inconnus, colorés ou ternes
» qui parfois débordent sur la toile ou dans les livres. C’est à un
jaillissement continu que nous assistons ici, en longues énumérations
où les mots eux-mêmes deviennent de folles créatures, par leur
accumulation, le détournement du sens ou leur rareté – palimpseste,
chancir, méandrine, hémiptère, pliopithèque traversent gaillardement
vers et prose dans un joyeux geyser, croisant un facteur sur un vélo
jaune ou des iules de suie, un prisonnier tombé de Kafka, un centenaire
ou un colibri qui se mue en femme aux cheveux soyeux. Des métaphores
hardies nous font parfois sourire par leur justesse décomplexée : «
L’avenue tend ses dos d’âne comme des envies obscènes », « Notre hameau
s’étire comme un poil récalcitrant à l’aisselle du volcan »…
Il faut se
laisser emporter par ces textes somptueux, parfois méticuleux comme un
poème de Ponge, parfois tonitruants comme du Rabelais, parfois
descriptifs (on peut avoir l’impression que le poète décrit les
tableaux qu’il peint), parfois philosophiques tout en récusant la
discipline (« il maugrée vaguement contre la philosophie qu’il trouve
aussi pénible que les échassiers dans le ciel »), volontiers
encyclopédiques, pour le plaisir du mot rare (« les saolas, les
rorquals, les harfangs, les hippocampes, les tortues luth, les
globicéphales, les macareux, les pointes noires ou les coraux aux
doigts roses »)… Mais il faut savoir détecter, derrière la dérision,
une fêlure, sinon une souffrance, une crainte de n’être pas exactement
à sa place. Souffrance de l’excès mental (« Qu’on arrête ces pensées
qui tournent et tournent dans ma tête »). Doute sur soi-même : le
peintre devrait voir le monde au-delà de son crâne-caverne – « Tu es
aveugle et tu ignores la fillette qui crève ». Un crâne d’ailleurs qui
se vidange de ses souvenirs, avec l’âge ou la folie, et l’image de Van
Gogh traverse l’esprit du lecteur – « J’ai planté autour de mon lit le
vide de ma tête / Je n’ai rien qu’un couteau de solitude un rasoir
rouge ». Celui qui se retranche derrière son regard (« spectateur
assoiffé ») est lui-même regardé par un « double qui l’observe », un Doppelgänger,
devant lequel ce collectionneur de mots « se sent cancre ». Ce sont les
tensions entre ces différents rythmes, entre la petite touche
d’inquiétude et le bouillonnement des mots, qui rendent profondément
attachants ces textes à mi-chemin entre poésie et récit.
Le bref recueil qui suit, Écorces déployées dans la nuit,
adopte le regard complémentaire du photographe, dont le métier consiste
à trancher dans la réalité plutôt que d’y déverser les créatures
fantastiques de son crâne-caverne. « L’homme, qui a cédé aux élans des
occasions faciles, / Fuit désormais la douceur hélas commune, / Pour se
frotter à la forme nette, à la couleur pure. » Les « cadrages à la
guillotine, secs, arbitraire », ne se paient pas de rêve. Le fil
conducteur est l’union intime du végétal et de l’humain, végétalisant
le second pour érotiser le premier. La « rugosité de l’écorce » se
frotte aux courbes humaines des modèles féminins. Couleurs et lignes se
mélangent alors « dans un joyeux non-sens ». La photographie (dont on
peut présumer qu’elle a fourni l’image de couverture, une écorce de palmier signée de l’auteur)
semble une discipline bien différente de la peinture, mais c’est dans
ces contradictions apparentes que le poète puise son inspiration.
Voir aussi : Brise dans le miroir.
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Vincent Engel, Expérience de vie imminente, Asmodée Edern, 2025.
« Chacune de nos
vies est un roman infini que d’autres prolongeront après notre
disparition. » Si ce livre se veut un « roman familial », c’est parce
qu’il entend prendre en compte cette infinité de vies, de « nos vies »,
dans le sens collectif (la mère, le père, l’auteur parlent de la leur)
comme dans le sens individuel : chaque personnage a plusieurs vies, ne
serait-ce que celle qu’il a vécue, celle qu’il a rêvée, celle qu’il a
écrite ou donnée à voir à ses proches. Roman, romans ? Le terme même
est à prendre au pluriel. Si l’ensemble aboutit à une parfaite
cohérence, chaque partie constitue un roman en soi, qui complète ou
corrige le précédent.
Le premier livre, Memor,
se compose à trois voix. Alter Engel, le principal protagoniste, assume
pleinement l’identité du romancier, par le nom, la date de naissance,
la carrière d’écrivain et de professeur d’université – mais en
proclamant tout aussi clairement, par le prénom qu’il se choisit, son altérité. Une sorte de Doppelgänger
qui aurait pris la place du « vrai » Vincent, fort proche du petit
garçon imaginaire qui l’accompagne au fil du récit, dans un singulier
jeu de reflets. Le titre de cette partie, Memor,
joue ouvertement sur le sens latin du terme (« celui qui se souvient »)
et le jeu de mots français (on y parle de « mes morts »). Mais Alter
Engel apparaît ici à la troisième personne du singulier, quand les deux
autres protagonistes, sa mère (« Maman ») et son père (« Daddy »)
utilisent au contraire la première personne. Sous-titré «
autobiographies », ce livre évoque les destins d’une famille à
l’épreuve d’une histoire douloureuse, marquée par la Shoah, refermée
sur des pudeurs, des secrets, des refus, qui entretiennent des tensions
et des malentendus. Les décès, tour à tour, de la mère, du père, du
frère aîné, incitent Alter, à cinquante-trois ans, à partir à la
recherche d’un frère perdu de vue depuis vingt-cinq ans.
Le deuxième livre, Errare
(« errer », en latin), joue quant à lui sur tous les sens de l’errance
qui lui donne son titre. Celle des migrants, pour lesquels Alter
s’engage par ses chroniques mais aussi par une tentative maladroite
d’action directe. Celle d’Alter aux États-Unis, sur les traces de son
frère disparu. Mais un pas est franchi : cette fois, il prend la parole
à la première personne du singulier. Le deuxième livre se présente
ouvertement comme un « roman », qui adopte tous les codes d’une
intrigue policière, mais qui évolue en permanence à la frontière entre
le pacte autobiographique et la suspension volontaire d’incrédulité du
pacte de fiction… D’emblée, d’ailleurs, le troisième livre précisera
que tout ce qui précède constitue une « errance fictive », quoiqu’elle
ait semblé « plus juste que le réel ». Si l’on sait depuis Boileau que
« le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable », il faut admettre
que la fiction puisse être plus juste que la réalité, puisqu’elle donne
sens à ce qui n’est soumis qu’au hasard. Tel est l’enjeu de ce triple
roman.
Le troisième livre, Vincere,
joue quant à lui sur le sens du terme latin (« vaincre ») mais aussi
sur sa sonorité, qui invite Alter Engel à assumer son véritable prénom,
Vincent – même si c’est toujours Alter qui a la parole. L’épilogue,
enfin, sera clairement assumé par Vincent Engel, mais, ultime pirouette
? à la troisième personne du singulier, comme s’il ne se voulait qu’un
personnage de fiction ! Une fiction plus « juste », rappelons-le, et
qui lui permet de dialoguer avec un des personnages récurrents de ses
romans antérieurs, Asmodée Edern – qui, dans la « vraie vie », est
aussi le nom de sa maison d’édition. La boucle est bouclée.
Ce résumé sec
peut laisser penser à un jeu gratuit. Il n’en est rien. Chaque livre,
chaque phrase, chaque mot a sa raison d’être. Gardons en tête qu’il
s’agit d’être « juste », et non « vrai ». C’est donc dans le troisième
livre que le lecteur ira, s’il le souhaite, au plus profond de la
réflexion sur le jeu fascinant entre réalité et fiction. Indirectement,
d’abord, à travers la voix du frère perdu et retrouvé, Isaac : « Tu as
le sentiment de n’avoir jamais vraiment vécu, sinon par procuration, à
travers tes personnages de fiction et tes romans ». Et directement,
lorsqu’Alter, se reconnaissant Vincent, admet que « Le réel a toujours
été, pour moi, la doublure de la fiction, ou sa conséquence. » D’où une
impression constante d’avoir toujours été en marge de ses propres
émotions.
Le réel ne
serait donc qu’une conséquence de la fiction ? C’est la leçon peut-être
la plus paradoxale, mais la plus riche de ce roman, et qui prolonge les
réflexions de la Nouvelle Fiction. Expérience de vie imminente, s’intitule-t-il. En inversant l’expression traditionnelle, l’expérience de mort
imminente (dont il est également question ici), Vincent Engel entend
bien (plutôt que de transformer classiquement la vie en fiction)
transmuer en vie la fiction, ne plus vivre par procuration par ses
personnages, mais vivre réellement, en franchissant avec eux la
frontière entre réalité et fiction. La rencontre d’Asmodée Edern, en
épilogue, n’a donc rien d’une pirouette : elle est la conséquence
logique, inéluctable, des six cents pages qui la précèdent. La vie va
enfin pouvoir naître du récit, l’auteur pourra lâcher la main de son
double et éprouver les sentiments dont il n’était jusque-là que
spectateur : « Je vais vivre, Maman, Daddy. Pour vous, pour moi, pour
les gens que j’aime. Je vais vivre et écrire, écrire que je vis, vivre
ce que j’écris. » Le roman que nous tenons en mains « est un rêve
auquel j’ai eu tellement envie de croire », confesse-t-il. S’il peut
aimer Lucie, la deuxième femme de sa vie, qui l’a libéré d’une relation
toxique, c’est parce qu’elle est apparue sous sa plume avant même qu’il
ne la rencontre. « Après avoir fui la réalité dans la fiction pendant
si longtemps, il était peut-être temps que la réalité accomplisse la
fiction, non ? » Aussi son premier soin sera de se rendre aux
États-Unis, décor du précédent livre, pour y vivre ce qu’il avait
imaginé, sur les traces de ses propres héros. Car le deuxième livre,
nous révèle-t-il, n’a pas été écrit sur place, mais… de son bureau,
grâce à Google Street.
Impossible, bien
sûr, de donner un aperçu, même partiel, d’un roman de 640 pp. à la
construction complexe et à l’enjeu quasi faustien. Le lecteur pourra,
s’il le souhaite, le lire au premier degré, pour l’habileté de
l’intrigue, la sensibilité des personnages, le pittoresque des
anecdotes, la parfaite maîtrise de l’écriture… Il y trouvera une
enquête familiale où « Daddy », un juif qui a perdu toute sa famille
dans la Shoah, finit par épouser la fille d’un député mouillé à
l’extrême-droite, dont il élève le fils violent et raciste. Il pourra
aussi le lire comme un roman policier : Isaac, le frère perdu, a créé
aux États-Unis un « jeu de piste » qu’Alter doit suivre « en marche
arrière », recueillant indices et témoignages. Ou comme un roman social
(magnifiques passages sur les SDF survivant dans les souterrains de Las
Vegas ou sur la chaîne humanitaire pour soutenir les réfugiés). Ou
comme un roman engagé sur l’accueil des migrants (« C’est l’errance qui
est la clé de l’humanité. Ces migrants […] nous disent ce que nous
sommes ») et le combat contre les « nazillons » belges. Et même comme
une vaste parabole de la fiction qui nous permet de nous évader d’une
réalité devenue invivable (« Toutes les fictions sont des migrants qui
fuient la terre inhospitalière du réel »).
Mais bien
d’autres pistes, dans ce roman, invitent à une réflexion plus subtile,
parmi lesquelles chacun choisira son fil rouge. Le thème du bonheur,
par exemple, revient comme un leitmotiv tout le long des trois livres,
jusqu’à suggérer – sans l’imposer – un contrepoint à l’impossibilité
des personnages de vivre pleinement et sans angoisse ; jusqu’à proposer
– sans l’imposer – une relecture de Sartre, « le grand imposteur » qui
voit dans le roman une injure à ceux qui souffrent, et de Romain Garry,
qui le « remet à sa place » en le prenant au mot : « Pourquoi juste le
roman ? Arrêtons tout ce qui rend heureux, tout ce qui suscite des
émotions esthétiques ! Ne faisons plus l’amour, ne buvons plus de vin !
» La recherche du bonheur, qui ne peut se faire qu’en assumant
pleinement la vie, est sans doute un des enjeux primordiaux de ces
trois livres, la clé de l’émotion retrouvée et du véritable amour qui a
permis de rompre après trente ans d’emprise.
Fil rouge, aussi, que
les citations du romancier Satprem, sans lequel, prétend l’auteur, on
ne peut comprendre son propos. Satprem, qui prétend que « nous [sommes]
entourés de signes mais que nous ne [savons] pas les déchiffrer », fait
écho aux réflexions sur le sens de la vie et la fonction des récits : «
il faut s’inventer des histoires pour donner du sens à ses actes et aux
hasards de la vie, aux rencontres qui nous laissent étourdis comme si
l’improbable était une évidence ». Ainsi se justifie cette formidable
entreprise de chercher la vie, fruit de hasards sans signification,
dans la fiction qui lui donne sens. L’athée revendiqué, qui ne peut
plus croire à la Providence, devient la proie du hasard s’il ne
parvient à donner sens à ce qu’il subit. Et Vincent Engel ne croit pas
plus au hasard qu’à Dieu…
Fil rouge,
encore, le « petit frère invisible » qu’Alter / Vincent doit mener à
l’âge adulte, comme un Doppelgänger
muet et intransigeant. Fil rouge, bien sûr, la musique, qui permet
d’harmoniser la « symphonie du hasard », dans une fidélité à Beethoven
qui me touche, mais qui emprunte tout autant à Chopin, à Mozart ou à la
musique américaine. Le père, qu’Alter invoque après sa mort, tient
beaucoup du Commandeur de Don Juan,
dont on apprend, dans les dernières pages, qu’il a servi de référence à
une photo qu’Alter avait prise de son père. Et le livre lui-même évoque
un vieux projet de bâtir un roman à cinq voix sur la partition du
Requiem.
De tous ces fils
rouges, j’ai pour ma part suivi avec bonheur celui des anecdotes – une
hantise du père, qui refuse d’en raconter. Comme tous les fils de trame
et de chaîne qui s’entrecroisent dans ce récit aux multiples
ramifications, ce leitmotiv revient avec une fréquence qui attire
l’attention du lecteur, mais en s’adaptant toujours au contexte. Ici,
il traduit l’exaspération du père devant le roman que son fils lui a
jadis consacré (« Tu as fouillé, remué les archives et tu n’en sais pas
beaucoup plus que moi à la fin »). Là, sa méfiance vis-à-vis de la
littérature, par laquelle Alter / Vincent tente de mériter son estime
(« C’est bon pour les romans, les anecdotes, et les romans, ce n’est
pas bon pour affronter la vie. En tout cas pas la vie que j’ai vécue
»). Mais le thème finit par rejoindre l’injonction de vivre – de
survivre – qui devient la ligne directrice du récit : « Les anecdotes,
c’est comme les pierres et les cailloux qu’on dépose sur les tombes ;
on fait croire aux autres visiteurs qu’on pense aux morts, mais on les
a oubliés avant même d’avoir quitté le cimetière. On a juste voulu
montrer qu’on était vivant. » Et le lecteur attentif finit par relier
ce refus de l’anecdotique à la construction même du roman, à sa hantise
de la gratuité, sa volonté de faire sens et de creuser la moindre
anecdote jusqu’à en dégager l’essentiel : ce qui nous explique
profondément un personnage, ce qui touche le lecteur en plein cœur. «
Ces documents ne te disent rien de l’essentiel, reproche Daddy à son
fils, qui a consacré des années à parcourir les archives de sa famille.
Rien de ce que j’ai ressenti, rien de mes hésitations, de mes doutes,
de mes peurs... » Ce n’est pas si sûr, car le personnage de Daddy, avec
ses emportements, ses contradictions, ses secrets, est peut-être un des
plus touchants et les plus profonds du roman, qui lui rend en fin de
compte un singulier hommage.
Quant à
l’anecdote, lorsqu’on en dégage son poids symbolique, elle peut prendre
une dimension inouïe. Un seul exemple suffira, qui témoigne de tout
l’art du romancier à faire sens à partir du geste le plus anodin. «
Bien des années plus tard, Alter recevrait de sa tante l’explication la
plus forte de ce qu’avait pu être la vie dans les camps de
concentration, à travers deux gestes. D’abord, lorsque Mala mangeait
une pomme : elle la pelait soigneusement, découpait les quartiers
qu’elle croquait ensuite, l’un après l’autre. Puis, quand le fruit
était achevé, elle prenait les épluchures et les avalait, la tête
basse, comme en se cachant. Une autre fois, après un petit déjeuner
copieux pris ensemble, elle avait attendu que tout le monde soit parti
mais n’avait pas vu qu’Alter traînait et l’observait ; subrepticement,
elle avait rassemblé les miettes sur la table avec la main puis les
avait fait glisser dans sa paume pour les porter à sa bouche, d’un
geste de voleur déterminé. » De telles anecdotes, convenons-en, valent
toutes les analyses qu’on pourrait en tirer sur l’horreur des camps,
sur la famine, sur l’angoisse, sur la honte... sinon sur le choc onomastique qui fait de Mala, en latin, le pluriel de «
pommes » et de «
maux ».
Voir aussi : Les absentes, Les angéliques La peur du paradis, Le mariage de Dominique Hardenne, Maramisa, Les vieux ne parlent plus. Le désir de mémoire.
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Annie Dana, Tremblement des jours, Rougier, vignettes de V. Rougier, 2025.
« Il est si facile de fermer les yeux
Pour ne pas être saisi
Par ce que tu ne peux t’empêcher de voir
Malgré l’étonnement et l’effroi »
Mais s’il est un
lieu où l’on ne peut s’abandonner à la facilité, c’est bien la poésie,
qui exige une totale lucidité, une attention constante à ce «
tremblement des jours » qui signe la perte, la dégradation, la
disparition. Symptomatiquement, le premier poème évoque les « veilleurs
invisibles » qui nous contemplent, debout sur les toits. Si ce court
recueil se clôt sur un « art de mourir », ce n’est pas tant la mort que
l’inéluctable transformation de tout ce qui est – de la fleur qui fane
à la liberté que l’on galvaude – qui traverse ces poèmes. Un changement
qui affecte plus que tout le regard sur le monde : le vieillissement
est d’abord une perte de l’insouciance, une prise de conscience du
temps qui passe, de la « dégradation du temps ». Que peut-on comprendre
à la vie quand on n’en connaît que le printemps ?
Les poèmes, pour
la plupart, ne portent pour titre qu’un mot abstrait qui en définit la
nuance – et souvent la nuance de gris, « hébétude », « doute », «
esquive », « déception »… Ils mettent surtout en évidence les dualités
de la vie, de l’espace et du temps. La nuit est un « autre monde » où
l’on suit d’autres chemins. « De l’aube au crépuscule / Du crépuscule à
l’aube / Deux chemins nous captivent / Tour à tour / Sans se combiner
». Le rêve est un autre territoire qui disparaît au matin. Dualité dans
l’espace : le monde occidental « à la mollesse pacifiste » n’a plus que
« des désirs d’ivrognes / Et des plaisirs de débauchés », tandis que,
partout dans le monde, règnent la mort et la guerre. Dualité dans le
temps : vieillir, c’est découvrir « la violence de l’étrangeté / De se
voir devenir autre ». Dualité dans l’Histoire, la liberté qui jadis se
nommait révolution – « C’était dans une autre époque / En un autre
siècle » – s’est égarée dans des reniements successifs.
« J’ai dit oui à la liberté
Sans la comprendre
Ignorant qu’elle est un exil
Hors du pays des étrangers
Que nous ne reconnaissons pas
Pour nos proches
Nous protégeant de leur destin
Dans chaque geste qui rabaisse »
Et
fondamentalement, la dualité se révèle dans la peur de l’autre ou dans
son acceptation, « avec le respect que tu dois à l’étrangeté de l’autre
». Mais en est-on encore capable, à l’époque où « Chacun est libre
d’effacer l’autre / Comme s’il était déjà mort / Comme s’il n’était pas
né » ? Nous sommes ici face aux questions fondamentales, où le destin
personnel, l’inéluctabilité de la vieillesse et de la mort, se confond
avec le destin des peuples et celui du monde. L’écriture pourrait être
une réponse, mais elle aussi s’inscrit par l’acte même de création dans
la dualité du monde, car elle a « vocation » de « recréer sa réalité ».
À moins que l’on renonce aux remords, aux regrets, que l’on cultive au
mieux la nostalgie, que l’on voie les braises derrière les cendres, les
« éclairs de joie » derrière leurs « traces calcinées ». Peut-être
alors pourrait-on « renaître à jamais / Au pouvoir des mots ». C’est le
fil ténu de l’espoir qui se faufile dans l’amertume de la lucidité. «
Pas besoin d’un but / Il suffit de rester vivant ».
Cette lucidité
sereine se traduit par une langue souple, qui se glisse dans des
anaphores, des rappels de sonorités, des parallélismes, qui lui donnent
un ton incantatoire : « J’attends… J’entends… », « Réclamer… Déclamer…
» « Nous rêvions… Ils rêvaient… » Et c’est déjà la dualité du monde,
mais aussi sa cohérence profonde, qui transparaissent dans le
balancement des phrases.
Voir aussi : La signature du temps. Pépins de Cupidon. Le piège des aveux. Le deuil du chagrin.
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Olivier Maillart, Fermez vos gueules, les mouettes, Héliopoles, 2025 (coll. Serge Safran). Parution le 9 mai 2025
« Je ne sais
rien de gai comme un enterrement », disait Verlaine… Le mélange de la
farce et du macabre est un grand classique de la littérature, qui
remonte à une époque où l’on côtoyait plus quotidiennement la mort,
mais qui semble prendre de plus en plus de poids au fur et à mesure que
la société la dissimule ou la masque. Olivier Maillart ressuscite
gaiement une tradition multimillénaire. Le message est clairement
assumé, puisqu’en tournant en dérision la mort on affirme plus haut «
les indomptables, les irrépressibles forces de la vie. »
En l’occurrence,
l’enterrement se déroule à Hirocherbourg, ville chère à l’auteur, qui y
a déjà situé son premier roman, Les dieux cachés, et dans laquelle le
lecteur reconnaîtra, s’il le souhaite, Hiroshima, Cherbourg, ou les
deux. Elle figure en tout cas en première position dans le classement
des villes les plus laides de France – elle y figurait, en tout cas,
jusqu’à ce que les organisateurs de ce curieux concours y incluent les
banlieues des grandes métropoles… Ce « port dont la mer semblait
absente » n’a rien de bien plaisant, sinon un professeur de
philosophie, Henri R., dont les mésaventures faisaient l’objet du
précédent roman. Comme toute bonne chose a une fin, c’est lui,
précisément, qu’on incinère ce jour-là. Et ses amis, anciens élèves ou
collègues, se retrouvent face à une famille compassée pour un dernier
hommage à leur « Socrate manchot ». Sauf que tout dérape lorsque le
plus fidèle d’entre eux, Henri G., lui aussi professeur de philosophie,
porte la main à son cœur et… s’écroule en heurtant de la tête le
cercueil. L’incident semble transmuer l’atmosphère – le retour à la
vraie vie se fera symboliquement lorsque les deux grosses bosses qu’il
en a retirées se seront résorbées.
La rencontre
entre la petite bande et la famille devient tendue lorsqu’on apprend
que les cendres seront déposées dans un columbarium avec vue sur le
lycée qu’il détestait, car le confinement interdit l’accès au cimetière
et au caveau familial. Or, le columbarium étant complet, il n’y a pas
d’autre solution que de reprendre l’emplacement jadis réservé à son
chat. « Je refuse qu’on enterre mon Riri, notre Riri, Henri R., le
meilleur homme qui fut, dans une urne à chats, s’emporte Ficelle, la
fidèle amie. Je refuse qu’on mêle ses cendres à la pisse de ces sales
bêtes. » Une seule solution : voler l’urne et aller disperser les
cendres sur la plage qu’il affectionnait. S’engage alors une course
poursuite à travers les quartiers les plus scabreux de la ville, une
odyssée dantesque où l’on doit fuir les guerres entre bandes rivales en
se réfugiant dans un réunion militante queer, avant de faire le tour
des bistrots de la ville. Occasion de pastiches parfois bien enlevés de
cinéma (les Oiseaux d’Hitchcock) ou de littérature (la charge des CRS de Zazie dans le métro),
de discours féministe (« tu chosifies complètement l’être-femme, tu
réactualises la Pénistoire au lieu d’en sortir ») ou animaliste
(mention spéciale pour Alex, « moins féministe que féliniste », qui
tente de retrouver « l’être chat » que nous avons en chacun de nous),
sans oublier les happenings poétiques d’un « poète dissident,
scrutateur des abîmes, bateleur d’infini, génie des Carpates,
chiffonnier des merveilles » ni le militantisme complotiste de Marco,
qui colle partout où il passe des affiches antivax.
On navigue, avec
plus ou moins de bonheur, dans les grandes épopées de voyage,
l’Odyssée, sans doute, mais plus proche de Joyce que d’Homère, le
docteur Faustroll, ou, surtout, l’Exode biblique. Car les deux bosses
qu’Henri G. s’est faites sur le cercueil de son maître ressemblent à
des cornes « façon Moïse de
Michel Ange ». Le parcours s’en ressent : face aux émeutes urbaines, il
sépare les flots des belligérants en deux murailles humaines, croit
voir le Buisson ardent dans une voiture incendiée, guide le petit
groupe selon son « inspiration vétérotestamentaire »… Ce sont à mon
sens les meilleures trouvailles de ce roman, émaillé par ailleurs de
clins d’œil littéraire à Baudelaire, Rimbaud, Nerval ou Christine de
Pizan. Bien sûr, on ne s’étonnera pas, dans cette vaste kermesse, de
voir les morts ressusciter et les personnages sortir de leurs tableaux.
Mais si le
roman, au-delà de cette grande rigolade, peut toucher le lecteur, c’est
aussi parce que la farce cache un réflexe de pudeur pour oublier le
vrai drame, celui de la mort de la mère. Le moment où Philippe,
principal protagoniste de cette équipée, s’épanche avec un travesti de
rencontre, est sans doute le plus fort du roman. Tiens, Jacques est
professeur de cinéma émigré en région parisienne. Il a dû aussi parler
au romancier.
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Jeanne Benameur, Vivre tout bas, Actes Sud, 2025.
« Peut-être se
demande-t-elle juste ce que c’est que de ne plus rien attendre et de
respirer pourtant, dans le silence. C’est vivre tout bas. » Vivre tout
bas : tel est le sort de Marie, après la « grande douleur » qu’elle a
connue de perdre son fils. Rien ne sera dit clairement, mais la
quatrième de couverture et les allusions de plus en plus nombreuses,
sinon explicites, aux Évangiles suffisent à nous éclairer. Mère sans
enfant (la « grande douleur » est l’euphémisme de la crucifixion),
femme sans tombe (l’Assomption lui a épargné la mort), confiée à Jean
par son fils (le seul personnage nommé dans le roman), qui reçut « des
paroles dehors et dedans à la fois » (l’Annonciation) : le doute n’est
pas permis très longtemps. Connue entre toutes les femmes, certes. Mais
avec un grand trou dans le récit : après la crucifixion et la
Pentecôte, et jusqu’à l’Assomption, les textes saints restent muets. Et
la suite ? Pas mieux… La voici enfermée dans des images stéréotypées, Mater dolorosa,
Vierge de Miséricorde, femme aux Sept Douleurs, autant de poncifs
qu’elle découvrira avec stupéfaction dans un monastère rupestre... Oui,
elle vit tout bas, comme si elle n’avait vécu qu’à l’ombre de son fils.
Comme si tout le reste n’avait aucun intérêt, n’était pas digne d’un
récit.
C’est dans cette
monstrueuse ellipse qu’a pénétré la romancière. Mais avec une
délicatesse extrême. Il n’est pas question ici d’inventer une vie
factice à celle qui n’en a plus (ceux qui attendent une sorte
d’évangile selon Marie seront déçus !), mais d’interroger ce silence,
cette absence. Avec une infinie tendresse, par moment, lorsqu’elle
cherche, dans un tissu qui évoque le linceul, le souvenir de son fils.
« Dans le creux du tissu, la présence et l’absence dos à dos se
confondent. / Il n’y a plus que ce qu’elle voit, elle, à
l’intérieur de sa poitrine, de son cœur, de la paume de sa main, et ce
qu’elle voit n’a pas de nom. » Avec des images fortes, à d’autres
moments. Si elle n’a pas de tombe, personne ne vient, comme le veut la
coutume juive, y déposer des cailloux : alors elle garde dans sa poche
tous ceux qui ne l’ont pas été. Et des formules marquantes par leur
justesse et leur poésie : le message reçu de l’ange, « c’était comme si
le silence avait parlé et s’était tu ».
Ici, l’abstrait
et le concret se mêlent intimement. Elle caresse la chaleur autour
d’elle. Elle caresse ce qui s’efface. Le sac a le poids de la vie
passée. Mais le geste est primordial, le contact de la main – sur les
épaules, sur le front, sur le visage, le bras, la taille… – est
omniprésent et rassurant. La douleur qu’elle a traversée l’a ouverte à
toutes les douleurs du monde ; l’oubli de sa vie, l’absence, le
silence, l’ont presque dématérialisée. Alors, elle les voit, les
grandes douleurs d’autres siècles. Elle voit les migrants, tente de les
aider – mais eux, peuvent-ils la voir, sentir sa présence ? – rattache
une sandale, assiste impuissante à la noyade d’une femme qui brandit
une fillette pour la sauver des flots… Les lieux et les temps se
confondent, car la douleur de n’être pas secouru traverse le temps. «
Ça a lieu dans son cœur et c’est maintenant. »
Et lorsqu’elle
retourne enfin au village – sans autre précision – la mère sans enfants
rencontre l’enfant sans mère. Les siècles se sont confondus. Ravagée par
l’image de sa mère qui se noie, la fillette est muette ; elle ne
parvient qu’à dessiner sans fin le visage de la noyée. Et pour cette
enfant d’un monde où les femmes sont privées d’instruction, Marie écrit
sur le sable, sur la pierre. « Les mots sont écrits. Ils sont
silencieux mais sa voix est dans chaque lettre », car écrire est « un
moyen silencieux d’exister. » Elle lui offre des poèmes, chante la
douleur des migrants, trace sur le sable les souffrances qu’elle entend
dans les maisons. « Elle écrit alors des mots pour que toutes les
souffrances trouvent le chemin qui permet d’aller vers une autre
poitrine. Avant que la poussière ne les efface. »
À côté de
l’enfant, Marie comprend sa mission, qui ne se résume pas à avoir été
la mère de son fils. Elle doit apprendre à lire, à la fillette, bien
sûr, mais à travers elle à toutes les femmes privées d’instruction. Sur
un rouleau vierge que lui a légué son vieux maître, celle qu’ont
oubliée les récits des hommes entreprend alors son propre récit. Et
Jean, tout aussi perdu qu’elle dans cette vie privée de celui qui lui
donnait sens, comprend à son tour sa mission. Veiller sur Marie, sans
doute, puisqu’elle lui a été confiée, mais aussi sur le monde, car la
mission de tout homme est de veiller sur ceux qui sont près de lui.
Tout en
allusions, en gestes lourds de sens, en symboles discrets, ce roman
éblouissant retrace la quête de tout homme et de toute femme, celle de
sa mission, du sens que l’on donne à sa vie. C’est surtout un hymne
feutré aux joies simples et fulgurantes de la vie – celle d’une main
sur l’épaule ou du regard d’un enfant.
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Patricia Castex-Menier, Contre-jours, Œuvres de Shi Qi, postface de Pierre Dhainaut, L’herbe qui tremble, 2015.
« Un jour
On va me dire c’est fini
Mais je ne pourrai pas
L’entendre
Je serai à l’écoute de
L’infini »
L’épigraphe,
sobrement signée WL, et la dédicace à « nos enfants », suffisent à
situer ces textes. Il y aura quatre ans cette année que Werner Lambersy
est « à l’écoute de l’infini ». Ces poèmes ont été écrits avant,
pendant, après, par celle qui a partagé sa vie. Ils posent un regard,
disent avec une infinie pudeur et une implacable lucidité la lutte, le
déclin, le renoncement, la douleur. Pour ceux qui ont vécu ces moments,
ils sont d’une puissance parfois insoutenable. Pour ceux qui les
découvrent, l’accueil réservé à leur lecture publique témoigne de
l’intensité de leur écoute. Pas un mot de trop, pas de pathétisme, mais
des évidences brusques qui nous transpercent, des visions sans
concession, une dignité qui nous bouleverse.
« L’abîme
a les contours quotidiens. »
Ce sont des
chants d’oiseaux, si présents dans les poèmes de Werner Lambersy, mais
dont on ne peut lui offrir qu’un enregistrement. C’est l’empreinte d’un
pas dans le bitume encore chaud. Des rideaux que l’on n’ouvre pas. Une
alliance qui glisse du doigt. La chute des feuilles. L’écran noir d’une
télévision que l’on n’allume pas. Une asperge hors saison. Le quotidien
soudain est lourd de sens, d’absence, de désarroi. De cruauté.
Parfois se
risque une émotion – « ainsi / ma faiblesse » – « la / joie a de beaux
restes ». Il y a encore « des jours bénis » où le passé se déguste –
mais comme un pain perdu préparé avec la mie de l’avant-veille.
Parfois, même, une tentative de consolation – « Bien sûr c’est faux ».
Ou des tentations de se masquer la réalité – « toujours / m’a manqué
l’art du maquillage ». Quant aux euphémismes, ils cessent vite de
raconter des histoires.
Les positions,
les contrastes, suffisent à traduire un état d’esprit. Autour de
l’abîme, « nous / nous penchons, // agrippés / à la margelle des heures
». L’aube pointe-t-elle, à la verticale : « Ce / matin tout se lève, //
sauf / toi. » Le corps couché résiste-t-il encore : « tu / es encore
cet épineux / presque / perpendiculaire à la paroi. » Les souvenirs
eux-mêmes ne sont que « bois flottés » et les objets quotidiens sont «
échoués sur l’étagère ». Le plafond suffit à évoquer le corps couché ;
le creux du lit suffit à matérialiser l’absence, « cette / présence
gigantesque ». Les vers s’étirent horizontaux, s’alignent à la
verticale, jusqu’au trait final, comme « un / fil à plomb / tiré
jusqu’ici depuis le ciel ».
Et si les images
rendent par moment sa priorité à l’écriture, ce n’est que dans le choix
d’un mot qui nous éclate au visage – « À / vif, / sans précaution, / on
/ m’a greffé ta mort ».
« ta
montre
dont l’aiguille la plus fine
dégoupille
une à une
les secondes qui nous restent. »
Qu’est-il besoin
d’images ? Les mots les plus simples suffisent, brutaux (« Ta / caisse
/ fait partie // du / grand connaissement »), égrenés dans une
progression lucide (« Ton / cadavre // puis / ta dépouille // bientôt /
ta poussière »). Un dernier clin d’œil au poète qui a si souvent évoqué
l’Odyssée – « C’est / en bois // Tu es dedans / Comme / Ulysse dans le
cheval ». Et le mot ultime, si lourd de sens multiples, qui sacralise
les lèvres dans un dernier souffle : « Merci ».
Les livres
dédiés à des proches disparus sont les plus difficiles à écrire, car on
sait qu’aucun lecteur ne pourra ressentir avec la même intensité ce que
l’on a vécu. Le chemin est étroit entre la grandiloquence de l’éloge et
le pathos des lamentations. Patricia Castex-Menier ne s’écarte jamais
de la ligne de crête entre ces deux gouffres. On ne trouve que rarement
une telle intensité, une telle justesse, une telle franchise. « Nous
n’avons que trop tendance à nous servir du langage pour émousser »,
souligne Pierre Dhainaut dans sa postface. Les mots ici sont aiguisés
comme un sabre de samouraï pour nous « racler jusqu’à l’os ».
Voir aussi : X fois la nuit, Passage avec des voix, Suites et fugues, Le dernier mot, Soleil sonore, Adresses au passant, Bouge tranquille, Al-Andalus. Chroniques incertaines. L'insinct du tournesol. Accoster le jour. Cargo. Havres.
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Georges-Olivier Châteaureynaud, Un beau diable, Grasset, 2025.
Il n’est pas
évident de renouveler le mythe faustien avec originalité, crédibilité
et élégance. Georges-Olivier Châteaureynaud soutient remarquablement la
gageure en restant en permanence à la mince frontière entre réalisme et
fantastique. On peut parfaitement voir dans ce roman les tribulations
balzaciennes d’un Rastignac moderne qui tente sa chance dans le milieu
hasardeux du cinéma. Florian, étudiant occasionnel mais beau comme un
dieu, incarne avec un charme juvénile le diable dans un film qui
remporte un succès d’estime. Il se voit alors proposer un rôle plus
ambitieux dans un projet grandiose imaginé par un milliardaire
excentrique, Fallen. Il s’agit d’adapter un des chefs-d’œuvre de Victor
Hugo, La Fin de Satan, formidable épopée de l’humanité où il tiendrait
le rôle-titre. Mais n’est-ce pas s’enfermer dans un personnage dont il
ne pourra plus sortir ? Il hésite, est sur le point de refuser, malgré
le cachet faramineux qui lui est proposé, lorsqu’un revers imprévu ne
lui laisse pas d’autre choix. Fort heureusement, le hasard lui ouvre à
point nommé une alternative honorable, qu’il accepte avec gratitude…
mais dont il est brutalement évincé à la suite d’un malentendu
inexplicable. Le voilà contrainte de revenir au projet de Fallen, qui
lui est fatal.
Rien de bien
fantastique, à première vue. Sinon une cascade de coïncidences qui
ébranleraient le plus cartésien, qui ne manquent pas d’inquiéter
Florian (« le hasard a bon dos »), mais qu’il écarte toujours de
crainte de tomber dans la paranoïa… Et puis, les noms ne sont pas
choisis au hasard. Fallen évoque trop bien l’ange déchu (fallen angel)
de Victor Hugo – n’offre-t-il pas au jeune homme, d’ailleurs, une
cuiller à soupe « d’une longueur inusuelle » lorsqu’il l’invite à dîner
? Et sa compagne Lili n’est pas sans rappeler l’infernale et tentatrice
Lilith. Quant à sa « fille préadolescente », elle pourrait bien avoir
joué de mauvais tours au héros... Florian, si charmant dans son
printemps en fleur, jouit des faveurs d’une cougar opportunément
prénommée Automne et d’une candide étudiante au visage disgracié qui
porte un prénom de pastèque, Romina. Oui, le hasard a vraiment bon dos…
Et puis, le lecteur bute sur une rue qui n’existe pas, sur un lombric
ombilical, ou sur des hurlements fantômes, une « prolifération de
signaux hermétiques » qui finissent pas éveiller l’attention. Et puis,
et puis, que diable ! nous sommes dans un roman de Georges-Olivier
Châteaureynaud, qui adore jouer sans en avoir l’air avec les mythes.
Alors, le
contrat mirifique que l’on hésite à signer a tout d’une tentation
diabolique. Mais Georges-Olivier Châteaureynaud s’amuse à prendre à
rebours le mythe faustien. Florian n’est pas un vieillard en quête de
sa jeunesse, ni même un ambitieux soucieux de faire carrière – le
cinéma n’était qu’une parenthèse qu’il aurait volontiers refermée. Il
ne se soucie guère du contrat et le diable, si l’on prend cette option,
doit multiplier les obstacles pour le faire changer d’avis. À vrai
dire, c’est plutôt Fallen qui est demandeur, insistant, presque
pitoyable dans son obsession. Car le texte choisi n’est pas anodin :
dans La Fin de Satan, Victor Hugo met en scène la rédemption finale de
Lucifer. N’est-ce pas cela, en fin de compte, l’enjeu du contrat,
l’enjeu du roman ? Fallen est lui aussi un « beau diable » mendiant sa
rédemption auprès d’un homme qui a su l’incarner avec sensibilité, sans
tomber dans les clichés racornis. Et, en fin de compte, c’est le « beau
diable » Florian qui sera sauvé par la plus inattendue des Marguerite,
la disgracieuse Romina, tandis que Fallen semble avoir été pris à son
propre piège.
La morale est
sauve, donc, une morale ironique et bien adaptée à notre époque. Le
monde de Fallen est celui de l’argent facile, qui peut tout se payer,
sauf la qualité artistique. La tentation de la beauté et de l’expertise
sexuelle incarnée par Lili est vaincue par une gamine au visage ingrat.
Le piège le plus efficace du diable est l’utilisation habile des
réseaux sociaux et du bad buzz
– n’oublions pas que www, en hébreu, s’écrit par un triple Vav qui
correspond à 666… Et son allié le plus sûr est l’endormissement du
monde, embourbé dans un « imaginaire anodin », qui « déserte les cimes
» pour « crapahuter à mi-hauteur, arpentant et broutant de modestes
alpages auto-fictifs. » Derrière un roman simplement divertissant se
lit alors une satire souriante de notre monde moderne où le diable
utilise les nouvelles modes pour tenter de garder sa toute-puissance,
mais finit toujours par plier devant la candeur innocente. À moins que
ce ne soit ce monde lui-même qui vit dans l’illusion d’une réalité
manipulée ? « La réalité perd chaque jour de sa réalité ; on n’ose même
plus imaginer ce qu’il en restera d’ici quelques années ! Des penseurs
l’ont soupçonné au fil des siècles. Au train où vont les choses, sous
peu il deviendra difficile d’en douter. Mais nous aurons l’occasion de
revenir sur ce passionnant sujet… » Clin d’œil de l’auteur à la
Nouvelle Fiction, dans les toutes dernières pages du roman :
l’occasion, bien sûr, ne se présentera pas, du moins ici. Car Fallen,
apprend-on, « a disparu de la circulation ». Vraiment ? Encore un
passionnant sujet sur lequel il faudra revenir.
Voir aussi : Petite suite cherbourgeoise, Singe savant
tabassé
par deux clowns, Le corps de l'autre, Résidence dernière, Le goût de l'ombre. Aucun été n'est éternel, Contre la perte et l'oubli de tout. À cause de l'éternité, Nouvelles d'un front. Ce parc dont nous sommes les statues. Ici-bas. De l'autre côté d'Alice. L'autre rive.
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Jean-Louis Ezine, La chaise, Gallimard, 2025.
Jean-Louis Ezine
se définit lui-même comme un « bavard empressé gouverné en société par
la crainte de manquer d’esprit, ou de tact » : un homme du monde qui,
par crainte de déplaire, sait enrober l’essentiel d’un vernis brillant
sur lequel glissera sans y penser le lecteur inattentif. Il goûtera
avec délectation une écriture raffinée, des périodes classiques bien
balancées, des formules piquantes (« L’orgueil, c’est comme le
cholestérol : il y a le bon et il y a le mauvais. J’avais les deux »).
Il retiendra des anecdotes savoureuses, celles, par exemples,
collectées sur les violoncelles célèbres, le Stradivarius éperonné par
Napoléon III, le Testorino
percé d’un trou en guise de nombril pour qu’on puisse en jouer en
marchant, ou le « Lascaux de la musique » tatoué de la tête aux pieds…
On se laissera envoûter par les digressions enchaînées sur le fil de
jeux de mots et d’associations d’idées. Les « origines piètres »
appellent « un pied très allant » qui évoque le projet d’un livre sur
le pied, source de considérations sur cet organe qui débouchent tout
naturellement sur… les carmes déchaux.
Anecdotes ? Sans
doute, mais qui nous ramènent à un thème souterrain mais récurrent,
celui des monastères. Durant son adolescence, le narrateur (qui doit
beaucoup à l’auteur) a en
effet exercé divers emplois d’été dans les milieux les plus divers,
livreur de supermarché pour les monastères ou employé au bureau des
entrées de l’hôpital – confidences aussitôt enveloppées dans des
formules amusantes – il fut donc « vivandier ambulant des ermitages »
et « scribe nosocomial » – histoire de détourner l’attention du point
sensible : le silence, ce silence religieux « qui agrandissait les
jours et repoussait les murs ».
Un point
sensible, le silence ? Étonnant, en tout cas, chez ce « bavard empressé
» qui tourne sept fois sa plume dans l’encrier pour parler du silence…
Mais le silence, dans ces souvenirs arrachés à un passé lointain, n’est
pas anodin. Il a sa face positive, car dans la « pandémie de parole
sauvage » que nous impose notre société « verbivore », où le verbe est
devenu la pâture du troupeau humain, « les mots n’arrivent pas aux
chevilles du silence, je l’ai su très tôt ». Mais il y a un revers
négatif : celui du secret sur ses origines. L’auteur a déjà utilisé la
même matière autobiographique dans un roman publié en 2009 et intitulé Les taiseux.
Il a en effet vécu son enfance « dans une forteresse impénétrable de
non-dits », des secrets de famille qui ne sont révélés que petit à
petit. La digression est avant tout pudeur. Au détour d’une phrase
pointent, comme par inadvertance, une mère à l’asile psychiatrique et
un père en prison. Le suicide de la mère n’est évoqué que
secondairement, appelé par une allusion à une traduction de Camus en
allemand (Heute ist Mama gestorben).
Marcelle, la sœur de la mère, dont il n’avait jamais entendu parler,
apparaît et disparaît aussitôt à l’enterrement, le temps d’allumer la
mèche d’une bombe à retardement. À sa suite, toute une famille ignorée
se profile, où se mêlent des héros de la résistance, des tantes de
haute lignée, pupilles de la Nation, filles légitimes alors que la mère
de l’auteur est bâtarde et doit vivre cachée... La généalogie, les
cimetières qu’il écume, lui en apprendront plus que les silences
familiaux. Pour digérer tous ces non-dits, il apprend tardivement le
violoncelle. Caprice ? Ou est-ce parce que l’instrument, dit-on, est
celui qui évoque le mieux la voix humaine ? Le temps de se poser la
question, une pirouette nous en détourne : « Là où l’écrivain s’assied,
et s’assied seulement, se contente de s’asseoir, on dira que le
violoncelliste s’installe. » Tiens ? Voilà le titre qui se justifie au
détour du récit, puisque pour s’asseoir, il faut bien une chaise.
Dans ce jeu
virevoltant entre bavardages, révélations diffuses, digressions,
analyses esquissées, le lecteur est pris au piège de la fiction. Le
narrateur est accompagné d’un « alter
ego romancier », Sarlabot, pour qui tout est littérature (il finit même
par avoir la vision de Proust, qui entend bien le virer de son lit) !
Mais le narrateur lui-même vit et parle à travers ce filtre littéraire
– lorsqu’il demande à son ami s’il n’a pas mangé du foin défendu, par
exemple, il faut y voir une allusion à Malebranche… Et le narrateur
risque bien de finir en héros d’un roman de Sarlabot, « un vieux
dilettante qui a vécu en marge de sa propre vie ». Brillant, plaisant,
souvent amusant, le roman n’en travaille pas moins une matière grave
qu’il sait dissimuler sous un vernis lisse. Cela s’appelle l’élégance.
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Claire Huynen, Les femmes de Louxor, Arléa, 2025.
« J’étais venue
à Louxor comme on va à la pharmacie. Parce qu’on tousse, qu’on se sent
fiévreux, que ça ne passe pas. J’avais rêvé d’Égypte. » Fascinée par le
mythe égyptien, la narratrice de Claire Huynen n’est pas sur ses
gardes. Elle tombe dans le piège le plus classique du grand amour arnacœur,
selon le jeu de mots d’un vieux film… Une spécialité locale,
découvre-t-elle, trop tard, en surprenant dans un café une conversation
de jeunes gens qui constituent comme un « syndicat officieux d’amants
d’Occidentales. » La technique est bien rodée. On se transmet des
recettes, des lettres, du vocabulaire, la technique de l’abandon… Le
soufisme, cette confrérie islamique aux buts pourtant bien plus
éthérés, est même invoqué pour justifier la conduite : « pour entrer
dans le cœur de l’autre, il faut commencer par le briser. » Le but
religieux est bien entendu d’ouvrir l’autre à Dieu. Celui des
Louxoriens est plus terre-à-terre : se faire offrir une maison. On
séduit une Occidentale, on l’épouse, on achète ensemble une maison,
mais le contrat est en arabe, les femmes séduites font confiance et ne
savent pas que tout a été mis au nom du mari. Entre eux, les séducteurs
se surnomment les castors, ceux qui bâtissent leur maison avec leur
queue. Le dernier chapitre, qui résume en quelques paragraphes le sort
de femmes prises au même piège, prolonge l’expérience individuelle
décrite dans le roman.
Car la
narratrice, qui travaille en France à la météo marine, se laisse vite subjuguer.
Elle vend son appartement à Paris et s’installe avec son nouveau mari
dans une boutique qu’elle achète. Un mariage presque clandestin.
« Nous étions seuls, à feindre une joie que je déguisais en
bonheur. » Et elle se rend compte petit à petit que le pays est différent,
dans son droit comme dans ses coutumes. La polygamie, d’abord : elle
doit bientôt partager la maison avec une deuxième épouse, une
adolescente bien intégrée dans la société, soutenue par sa famille, et
qui aura bientôt la consécration du ventre : elle porte l’enfant
légitime.
Mais elle
découvre aussi le droit reconnu à l’époux de frapper sa femme. Elle
découvre les ravages de l’ivresse et de la drogue. Peut-elle encore
croire à l’amour ? Peut-être, car elle en comprend une cause inattendue
: les Occidentales ont l’avantage de la jouissance dans les rapports
sexuels, les Égyptiennes étant excisées. Nous sommes ici au comble de
l’abjection, et du cynisme. Le roman semble un moment songer à un
rééquilibrage des forces grâce a la complicité qui s’installe entre les
deux épouses, mais il n’y a pas d’issue. Seule la mort accidentelle de
Sayyed, l’époux, comme un deus ex machina, permet à la situation de se dénouer heureusement.
On retrouve dans
ce roman tout l’art de Claire Huynen de croquer en quelques mots des
personnages singuliers et nuancés, comme Hamsa, la seconde épouse : «
Elle semblait avoir depuis longtemps renoncé à l’innocence, mais sa
jeunesse préservait quelque chose qui ressemblait à de la fraîcheur. »
Comme dans Ceci est mon corps,
publié l’année dernière chez le même éditeur, les sentiments, les
émotions passent souvent par leur expression physique : « Crier avec
son corps » « son corps était en sédition ». On retrouve également tout
l’art de la formule qui colore l’écriture sans jamais tomber dans le
cliché : « Il plantait des rêves dans ma tête. Ça a pris comme une
greffe » – « Elle promenait son ventre comme une décoration. » Le
rythme de la phrase, saccadé pour décrire l’angoisse, plus souple dans
les passages apaisés, épouse les émotions des personnages. On peut
juste regretter un abus des reprises, efficaces quand elles sont
utilisées avec parcimonie, mais qui tournent vite au tic d’écriture,
surtout lorsqu’elles s’accumulent dans des phrases successives : « Des
fois qu’on aurait encore des réserves. Des réserves de patience. Il
suffit d’attendre. D’attendre et de regarder. Regarder le désir qui
prend toute la place. » L’écriture de Claire Huynen a suffisamment de
ressources pour trouver sans cela le ton juste et la musicalité de la
phrase.
Voir aussi : Ceci est mon corps.
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Philippe Lekeuche, Élégies, L’herbe qui tremble, 2025.
Il n’est pas si
courant de donner à un recueil de poèmes le seul titre d’un genre
littéraire, qui ne tente pas de définir une thématique, mais une forme (Sonnets, Odes, Ballades, Haïkus…)
ou, comme pour les élégies, une atmosphère. En dehors de la littérature
antique, où l’élégie correspondait à une métrique stricte, la poésie
moderne l’emploie pour désigner une forme libre, qui demande un peu
plus d’ampleur et de souffle que les poèmes courts à la mode, mais qui
évoque d’emblée une atmosphère mélancolique, plaintive, propre aux
amours contrariées ou à la méditation sur la mort. Goethe, Hölderlin,
et surtout Rilke ont fait de l’élégie un genre approprié à la Weltschmerz
allemande – ce n’est pas un hasard si l’Allemagne revient comme un
leitmotiv dans ce recueil, Philippe Lekeuche étant par ailleurs un
germaniste averti. Un terme allemand, parfois, par ses
connotations qui bravent toute traduction littérale, évoque bien
davantage que son correspondant français : « Sorge, Souci venu d’Allemagne », aussi intraduisible que la saudade
portugaise. Le titre, les références, l’ampleur et la gravité de ces
six textes sont autant de signaux : nous sommes ici devant un recueil
essentiel dans le parcours du poète.
Il ne faut pas
pour autant craindre un intellectualisme de mauvais aloi. Bien au
contraire, tout le recueil s’insurge contre le rationalisme, le lit de
Procuste de la logique, de la précision lexicographique, contre le
matérialisme moderne, qui nous coupent du Réel. « Nous voyons seulement
le visible / Aveugles que nous sommes, et la Raison / Ses calculs,
voilent le regard. » Ayant consacré sa vie à la philosophie, la
psychologie, la psychanalyse, la phénoménologie clinique, dont il est
professeur émérite à l’Université de Louvain, Philipps Lekeuche
interroge, parfois douloureusement, la compatibilité entre ces
démarches intellectuelles et la pratique de la poésie, son activité la
plus constante, son identité fondamentale.
« Ces derniers jours, trop terre à terre, manquait le Ciel
Je vaguais, étudiant la philosophie et l’être
La Poésie avait disparu »
Si les élégies traduisent une mélancolie – une saudade, une Sorge
– constitutive, c’est moins celle de l’amour déçu ou de la hantise de
la mort que de la disparition de la poésie, la perte irrémédiable, due
aussi bien à une époque qui « en a assez de la poésie » qu’au poète
pris dans le piège de mots – ces mots « de plomb » empêchant le poème.
Si mort il y a, ce n’est pas celle de l’homme, mais celle du monde,
celle du poème.
« Longtemps, je fus labouré par les vers, par le cadavre
Éteint du langage, lui qui me sépare, me coupe
De ma vie, le Tombeau du Poème y habite »
Pour échapper à cette double malédiction, il faut la retourner
(autre mot-clé de ce recueil). La malédiction d’un monde matérialiste,
qui nous a « jetés dans la prose », d’abord : n’est-ce pas une seconde
chance, pour le poète, d’échapper à la dictature tranchante des mots ?
« Ainsi vivons-nous dans l’arraché / De pages non écrites. » La
malédiction du poète / pseudo créateur, ensuite. Retourner l’acte même
d’écrire pour laisser à la poésie sa totale liberté : « je suis écrit
par des phrases », dit – espère ? – le poète. Et je pense à la leçon
inaugurale de Wajdi Mouawad au Collège de France, où il nous demande si
l’arbre se croit le créateur de l’oiseau qui s’est posé sur ses
branches. Au présomptueux créateur qui gesticule en verbes creux autour
de l’essentiel – « ainsi nous dansons / Autour de la Chose à dire » –
doit succéder l’humble scripteur d’une poésie qui le dépasse et qui, de
toute façon, dépassera tous les mots – « Je suis le palimpseste où
s’écrit l’effacement ». L’oubli de soi, l’effacement : c’est le cœur de
sa démarche.
Pour atteindre
cet état, pour sortir de soi-même, en finir avec le « Je » qui occulte
le monde et empêche d’atteindre l’Autre, plusieurs voies s’ouvrent au
poète, familières à Philippe Lekeuche. Je n’en retiendrai que deux.
L’amour, d’abord, sans fausse
pudeur ni sublimation romantique. Il s’agit bien du corps, lieu d’une
sensualité libérée de toute expression verbale, refuge du poème libéré
des mots : « Rejoindre le pur amour de ton corps / Là […] où mon Poème
existe / Hors de son texte, évadé des livres. » L’amour physique,
souvent comparé à une petite mort,
libère de la hantise consubstantielle à toute humanité. Les deux
hantises – perte de la vie, perte de la poésie – sont liées et
exorcisées dans cet abandon total à l’autre
« Pour donner chair aux os de la langue
Pour mettre du désir dans la mort »
L’autre médium qui permet de sortir de soi et de retourner le rapport au monde est la photographie, autre leitmotiv
de ces élégies, qui par ailleurs sont scandées par des photographies en
noir et blanc de l’auteur, des lieux vides, désertés de toute présence
humaine, mais hantés de forces invisibles : sous-bois, falaises,
ruines, chemins, couloirs, qui ouvrent sur un autre monde, appellent le
pas, mais ne le montrent jamais, car la route est en nous et non nous
sur la route – « le chemin marchait en nous », dit Philippe Lekeuche,
et une de ces photographies semble illustrer parfaitement ce paysage
intérieur. La photographie, par définition, est le lieu où l’on peut
être observateur, extérieur au monde tout en étant intensément présent
dans le cadrage. Elle permet de chercher « Ce Je qui se dérobe en ses images / Car, hors de moi, elles m’éjectent ». Ainsi se résout le conflit entre le Je
et l’autre, entre l’intérieur et l’extérieur, entre la limitation des
sens et l’ouverture à l’invisible (« En attendant je faisais des
photographies / Qui voyaient ce qui manque à la perception »). La
lumière extérieure éveille une lumière intérieure qui s’approprie le
monde, ou plutôt qui le révèle, qui affirme l’unité essentielle entre
le monde et l’homme : « Heureusement, je m’accroche à la photographie /
J’écris sur la pellicule avec ma lumière ».
Cette aliénation
bienheureuse tient de l’expérience mystique du néant, subrepticement
évoquée dans un poème – « nous disparaissons, dissous dans la
perception pure » – et qui n’est pas sans évoquer les élégies de Rilke.
Le Lieu (avec sa majuscule significative) n’est plus l’espace dans
lequel nous nous trouvons, mais cet espace intérieur qui contient le
monde – « dans cette immensité perdue en moi ». Le thème du
retournement, présent d’une façon ou d’une autre dans chacun de ces
poèmes (« Tu retournais comme un gant le langage »), prend alors tout
son sens. L’intérieur est l’extérieur, le silence est parole, la
destruction – présente dans les multiples références à l’Apocalypse –
est le gage d’une unité nouvelle. Le vieux thème chrétien continue à
symboliser le retournement (chute de la Babylone terrestre pour
permettre l’émergence de la Babylone céleste) ; toute la mystique
chrétienne repose sur l’anéantissement personnel pour recevoir la
Présence divine. C’est un processus équivalent qui est ici en œuvre : «
Ceux-là qui s’effaçaient afin que soit / La Présence, que nous
trouvions langue / À notre mesure ». Il rejoint la dialectique
paradoxale entre l’acceptation et le refus : « Et sans la négation tout
Oui est impossible » – vieux thème faustien qui voit dans la négation permanente du diable (« Ich bin der Geist der stets verneint ») l’accès au salut.
Tout cela peut
sembler très chrétien. Mais Dieu, dans tout cela ? S’il est question du
« Père » ou du « Très-Haut », c’est que l’élévation, l’accès à une
autre dimension, invisible par les sens communs, a longtemps été portée
par la foi en une entité transcendante. Mais le détournement des
valeurs spirituelles par les religions dominantes a fini par
discréditer la foi naïve. L’ange « avait jeté les dieux à la poubelle
mais le mot / Résistait, demeurait toujours, il voulait / des massacres
et des impostures : Assez !,
dis-je ». Le mot, encore, et sa perversité. « Assez » : non pas de la
transcendance, mais de la perversion des mots. L’appel au dépassement
qui traverse non seulement ce recueil, mais l’œuvre entier de Philippe
Lekeuche ne peut que se méfier des excès que les idéologies,
religieuses ou non, ont commis en son nom. S’il faut aller au-delà de
la Weltschmerz, de la douleur
du monde, ce n’est pas par la haine et la violence, mais par un
espérance paradoxale dans le rôle rédempteur de la souffrance : « Loin
des consolations heureuses / Car le malheur apaise un mal plus grand ».
Ce mal plus grand est sans doute la rupture originelle, entre l’homme
et le monde, symbolisée par la chute d’Adam. C’est bien le propos de
toute mystique, même athée, que de chercher l’unité, l’« éclosion
stable » au milieu des fragments disjoints. Car l’unité existe dans le
regard que l’on porte sur le monde : « Ainsi l’envol des passereaux
semblant / Multiple et qui est Un. » Comment la reconstituer ? En
remontant à l’origine, à la brisure, seul point commun entre les
fragments éclatés. « Rassemble-toi, prends tes morceaux, tes bribes /
Ramène-les au cœur fêlé / Car les tient la brisure ». Telle est la clé
paradoxale de ce recueil, et peut-être de toute la poésie de Philippe
Lekeuche, sinon de la poésie, tout court : de même que le symbolon
grec, ce tesson d’argile brisé dont les contractants emportent chacun
un morceau comme signe de reconnaissance, le fil imperceptible de la
cassure est le seul endroit où les éclats peuvent se rassembler. J’aime
en trouver le signe dans les multiples allitérations dont est friand le
poète (l’alcool, l’alcôve – meubles morts – mésanges messagères – plane
la paix bleue…)
Telle est la
démarche du poète qui ne veut pas se payer de mots : retrouver par les
mots l’essence même de la poésie, sa capacité à souder les fragments épars pour retrouver l’unité du monde, l’unité
du poète avec le monde. Philippe Lekeuche y parvient avec un art
consommé et une sincérité totale. Dans cet appel pressant à retrouver
l’unité du Sens
dans la multiplication anarchique des mots, l’allitération semble
pointer la brisure phonétique pour resouder ce qui a été brisé, les «
bribes » de la Poésie dont chaque poème n’est qu’un éclat.
Voir aussi : L’épreuve.
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Jean-Pierre Poccioni, La double personnalité du criquet, Héliopoles, 2025.
« Nos vies sont
régulées par des cascades d’engrenages si nombreux et divers qu’il est
aussi impossible de les comprendre que d’en prévoir les effets. » C’est
en tout cas la perception de Bruno Mancini, psychologue du travail dans
une multinationale, qui ne maîtrise plus sa vie après sa mutation à
Fontainebleau. Il doit y accompagner un projet confidentiel et très
sensible, qui envisage l’allongement de la vie humaine.
Tout fonctionne
trop bien, avec trop de coïncidences. Son fils Valentin, harcelé dans
son école, ne demande qu’à déménager. Le notaire qui emploie Valérie,
la femme de Bruno, ne verrait pas d’un mauvais œil son départ, qui lui
permettrait d’embaucher sa fille fraîchement diplômée. Une merveilleuse
propriété, le Moulin Rouge, est précisément à vendre près de
Fontainebleau, et accessible grâce au salaire lié à sa nouvelle
promotion… Tout se passe très vite et trop bien. Et, surtout, de façon
trop logique. Les enchaînements sont tellement évidents. Un grand
terrain permettra d’avoir un chien, rêve de Valentin. Mais pour cela,
il faut clôturer le terrain. Et tant pis pour les pêcheurs qui perdent
un précieux raccourci pour rejoindre la rivière. Et puis, il faut une
voiture plus grande que la Mini, pour voyager avec le nouveau chien.
Pourquoi ne pas profiter d’une promotion sur un SUV BMW ? On n’y trouve
rien à redire. Mais comment s’étonner des rancœurs qui naissent dans le
village à l’encontre des arrivants trop favorisés par la vie ? « J’ai
compris ce jour-là qu’on ne pouvait habiter le Moulin Rouge sans être
installé dans le clan des nantis ce qui impliquait le regard de ceux
qui ne l’étaient pas. » Le lecteur, qui craignait d’avoir embarqué dans
un roman idyllique, pressent l’anguille sous la roche.
Il n’a pas tort.
Quelques maladresses, beaucoup d’incompréhension, finissent par faire
passer Bruno pour un arrogant, un parvenu, un privilégié – ce qui ne
sent pas bon en 2018, en pleine crise des Gilets Jaunes ! D’ailleurs,
le mystérieux projet de son entreprise n’est-il pas de nature à nourrir
tous les complotismes ? « Il devenait de plus en plus évident que la
vie éternelle serait un produit commercial réservé aux élites et non un
projet universel. » Quoique psychologue, Bruno ne perçoit pas le lien
entre le projet de société auquel il est en train de participer et la
contestation qui sourd contre les élites et les nantis.
Tout s’enchaîne
alors avec une logique implacable dans l’engrenage des incidents de
voisinage. Le lecteur est fasciné – comme le serpent par le charmeur –
par les conséquences inimaginables d’une décision qui semblait de bon
sens, par la spirale de réactions qui l’amplifient et la déforment.
L’analyse du romancier est d’autant plus implacable qu’elle se déroule
en douceur, dans une langue dépouillée, sur le ton de l’évidence.
Quelque chose s’est déclenché, qui dépasse la compréhension, aussi
étrange que « la double personnalité du criquet », animal solitaire
qui, tout à coup, adopte un comportement grégaire jusqu’à devenir une
des dix plaies d’Égypte ! La première partie du roman ne cherche pas le
suspense : d’emblée, nous savons que la tension croissante débouchera
sur l’assassinat sauvage du chien, sur lequel s’est focalisée la
rancœur du voisinage.
Mais une vérité
peut en cacher une autre, qui a son tour en masque une troisième, et
peut-être même… À ce stade, il faut se taire. Même si quelques indices
sont livrés à la sagacité du lecteur, la seconde partie du roman table
sur une avalanche de révélations successives. Les enjeux soudains
dépassent le cadre d’un conflit de voisinage. La rancœur est à l’image
de la France de 2018. Il y a « quelque chose de politique » dans ce qui
arrive à la petite famille. On plonge dans les enjeux fondamentaux, la
sécurisation des entreprises, l’autonomie des drones, la légitimation de l’assassinat politique, le
paternalisme sournois d’une mafia italienne, l’espionnage industriel,
les pièges de l’intelligence artificielle, l’uniformatisation du monde
qui se manifeste jusque dans la décoration des appartements ! Le
lecteur ne sait plus où donner de la tête dans toutes ces grilles
d’interprétation, mais il perçoit un plan d’assemblage qu’il n’a qu’à
suivre comme dans une notice Ikéa. « Il existe un réseau universel fait
de mailles variables, jamais la même solidité ni la même dimension, un
jeu complexe d’intérêts qui s’épaulent, un grand jeu d’alliance
informelles. »
Mais les plus
habiles des manipulateurs oublient toujours le facteur humain, la
petite erreur qui, comme un grain de sable dans la mécanique la mieux
huilée, fait grincer la machine. Il suffit d’une vieille photo publiée
sur un réseau social, du changement d’une coupe de cheveux, pour que
l’ultime vérité éclate, presque subrepticement, dans le vaste complot
international dans lequel nous avons été embarqués. La fin, un peu
artificielle, ne peut que trancher le nœud gordien qui étrangle les
personnages, pour leur permettre de retrouver ailleurs le petit coin de
paradis qu’ils viennent de perdre.
Comme dans un
roman policier, on peut s’amuser à repérer les indices bien cachés qui
préparent l’explication finale. On s’intéressera également à l’évolution
psychologique des personnages, dans les relations de couple ou de
paternité, au fur et à mesure de la prise de conscience du piège qui se
referme sur la famille. C’est la perte de l’insouciance et d’une sorte de candeur adamique qui les oblige à changer les rapports intra-familiaux. Mais on peut aussi s’amuser à dérouler
la pelote des petites causes et des grands effets qui tricotent une
intrigue complexe à partir de faits d’apparence anodine. Le roman est
parfaitement structuré et bien mené – seul le premier chapitre, qui
fait appel à un narrateur extérieur pour anticiper la mort du chien,
m’a semblé rompre la belle mécanique de l’intrigue, comme si l’auteur
avait craint de commencer trop en douceur un roman mené en crescendo.
Il suffit de se laisser mener par l’intrigue et ses rebondissements
avec la sagesse du vieil oncle italien : « la seule chose que tu dois
comprendre, c’est que tout a changé. »
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Michel Lambert, Quelle importance, nouvelles, Quadrature, décembre 2024.
Les recueil de
nouvelles ont ceci de bien qu’on peut les réorganiser et les relire
pour constituer un ensemble différent. Elles constituent un instantané
de l’univers d’un auteur et prennent, comme les perles, une teinte
différente selon le support. Les dix nouvelles ici rassemblées ont paru
dans sept recueils précédents. Les trouver regroupées sous un titre qui
éveille une mélancolie résignée – « Quelle importance ? » leur donne
une coloration nouvelle. On y pointe d’autres détails (comme le retour
des avions, du ciel, de tout ce qui oblige à lever le regard), on
éclaire différemment l’atmosphère particulière aux récits de Michel
Lambert, un peu comme dans une cathédrale de Monet saisie à différente
heures du jour. Aurais-je, sans le titre (Quelle importance ?),
pointé telle phrase d’une nouvelle intitulée « Le carillon » : « Qu’y
avait-il sous cette bâche ? Pas la moindre idée, d’ailleurs c’était sans importance,
sauf que cela l’aiderait peut-être à comprendre ce qu’il y avait sous
la sienne, de bâche. » Le moindre détail que l’on remarque et qui
semble « sans importance » a au moins celle d’avoir été remarqué, donc
de révéler un manque, une préoccupation, un question personnelle.
Et c’est bien de
cela qu’il est question ici. L’incertitude portée sur le monde (« je ne
sais pas, c’est quelque chose que je sens », « il lui semblait avoir
encore oublié autre chose »…) oblige à s’interroger sur son propre
regard, sur ses propres incertitudes. Et donc sur son propre passé, car
la mémoire est mensongère, elle falsifie la réalité, et dans la
reconstitution de sa propre histoire, il manque toujours l’essentiel :
les émotions liées aux événements anciens. Ce qui avait sens n’a plus
que l’ombre d’une existence, les rituels jadis porteurs d’un sens
profond s’émoussent et se sclérosent.
Le regard est un des leitmotive
discrets du recueil. On peut même se demander s’il n’y a pas l’esquisse
d’un aveu autobiographique dans cette remarque d’un narrateur qui
aurait souhaité faire carrière dans l’aviation, mais qui devient
réalisateur – un métier de création, comme l’écriture : « C’est alors
que je me suis dit : à défaut d’être pilote, un homme d’action, tu
pourrais peut-être raconter la beauté du monde. La filmer. » Raconter
la beauté du monde… Rêve de tout écrivain. Et si l’on souligne que
c’est plutôt la tristesse, la nostalgie, la mélancolie du monde que
semble raconter Michel Lambert, il faut rappeler que tout art, et tout
le sien, consiste précisément à transformer tout cela en beauté. C’est
toute la magie de l’écriture, d’évoquer en quelques mots un sourire qui
flotte, à la dérive, ou cette « heure électrique » où les motos rasent
les rétroviseurs. Quelques mots, toute une atmosphère, plus importante
que le récit, en fin de compte, car celui-ci se faufile entre les
silences, les ellipses, les retenues, les allusions à des événements
connus des seuls narrateurs… Même le vieillissement du regard est
évoqué subrepticement, avec pudeur : « un regard d’un métal douteux,
tel un scalpel à la lame fatiguée ». Ces dix nouvelles sont autant de
petits bijoux dont chaque éclat semble neuf.
Voir aussi : Le
jour où le ciel a disparu, Dieu s'amuse, Le métier de la neige, Quand nous reverrons-nous ?, Le lendemain. Une touche de désastre. Cinq jours de bonté. Le ciel me regardait.
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David Ducreux Sincey, La loi du moins fort, Gallimard, 2025.
Emprise ! Le mot
est à la mode. En l’occurrence, le petit narrateur (six ans) en subit
même deux, celle d’une mère tyrannique (bonjour Vipère au poing)
et celle d’un voisin plus déluré que lui, Romain Poisson, dont il a
recherché l’amitié dans l’espoir qu’il le débarrasse définitivement de
sa mère, qu’il n’ose pas mettre à mort lui-même. Voilà pour l’ambiance.
Prolongée par les occupations coutumières de nos deux galopins :
composer un cimetière au fond du jardin pour de petits animaux (bonjour
Jeux interdits), si possible
vivants (c’est plus drôle), se glisser dans la foule des enterrements,
voler leurs parents, bombarder la mairie de crottes de chiens, insérer
des pétards dans les boîtes aux lettres, envoyer des lettres anonymes
avec des lettres découpées dans les journaux… Bref, un beau palmarès
des bêtises les plus originales que peuvent trouver des gamins mieux
pourvus en clichés qu’en imagination.
Tout cela nous
est présenté comme un roman humoristique, j’ai dû être mauvais public.
L’épisode le plus original est celui où le petit Romain, décidant de se
présenter aux élections dans le village où ses parents ont une maison
de campagne, essaie de se faire connaître en sympathisant avec la
pipelette du village, la boulangère, qui ne s’en laisse pas compter. On
retombe vite dans les blagues de potache. Mais bon, l’âge aidant,
Romain Poisson devient le plus jeune député, puis le plus jeune
sénateur de France, traînant son souffre-douleur comme assistant
parlementaire… pour lui faire exécuter toutes les basses besognes
nécessaires à sa carrière : assassiner ses rivaux et manigancer toutes
les corruptions possibles. Entre ces deux périodes, nous avons eu droit
à toutes les tribulations des adolescents et jeunes adultes, batailles
épiques entre les parents, suivies d’un divorce, batailles tout aussi
épiques du jeune homme avec sa mère, humiliations que lui fait subir
son « ami », y compris dans son éducation sexuelle… Et pour finir, un
renversement de situation que le lecteur avait sans doute deviné dès
les premières pages, où l’on avait appris que le plus jeune sénateur de
France avait tout bonnement disparu. La loi du moins fort, on vous
avait prévenus…
N’est pas
Hervé-Bazin ni Cesbron qui veut. Un peu d’imagination dans les épisodes
censés nous faire rire aurait donné un peu de chair à l’intrigue. Et
l’humour pourrait aussi renouveler son arsenal sans recourir aux fleurs
de rhétorique les plus fanées, comme le zeugme (« Le son de la grosse
cloche le tira de les rêveries et Romain Poisson par la manche de mon
sous-pull »).
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