2023
Fabienne Verstraeten, V ou la mélancolie, Arléa, 2023.
« C’est une
ville du temps passé. Un instant de ville serti dans le cadre d’une
photographie ancienne à peine plus grande qu’un timbre-poste. » Le
télescopage de l’espace est du temps est d’emblée posé comme une des
clés de ce récit. Après tout, ne parle-t-on pas d’instantané en
photographie ? Le point de départ est en effet un cliché pris vers
1944-1945 représentant l’enterrement d’Aloïs Verstraeten, grand-père de
l’autrice, héros de la résistance, suivi par la famille, dont le père
de Fabienne Verstraeten, alors jeune homme. Sept décennies plus tard,
ce dernier, ne supportant pas les diminutions de l’âge, se défenestre
du Centre public d’Action sociale. Un geste auquel s’étaient décidés
beaucoup de résistants, jadis, pour échapper à la torture et au risque
de dénoncer des camarades de lutte. Le rapprochement temporel permet de
faire éclater le cadre de la photographie, comme si l’on pouvait «
appréhender le hors-champ de cette image, ce qui lui échappait, ce
qu’elle ne disait pas. » D’échapper aussi au « roman familial », dont
on connaît la part de fiction.
Car au-delà de
la photographie il y a les témoignages, d’autres photographies, des
souvenirs, et une lettre dans laquelle le grand-père incarcéré demande
l’intervention d’un député rexiste. Tache sur sa mémoire ? Ruse pour
faire passer la lettre ? Effroi bien compréhensible à l’approche de la
mort ? Le fils du résistant ressentait cet appel à l’ennemi comme une
honte. Mais il avait dépassé l’âge où son père a été fusillé et n’avait
jamais connu des circonstances équivalentes. La petite-fille du
résistant, l’autrice, à qui l’on accorde une certaine ressemblance avec
son grand-père, en particulier dans le regard, s’interroge sur ces deux
morts que séparent des décennies. La honte du héros implorant
l’intercession, le courage du survivant refusant la déchéance ? L’un
qui se couche, l’autre qui « se met debout une dernière fois » ? « Mon
père était-il un héros ou un homme empli d’effroi à l’instar de son
propre père ? Entre les deux, la légende familiale n’a pas tranché. »
La réponse est
peut-être dans un autre regard, celui d’une petite fille anonyme, sur
la photographie, qui voit la scène avec des yeux d’enfants et qui en
ignore sans doute les circonstances et la signification. « Son visage
exprime la curiosité candide et l’intelligence vive des enfants qui
savent ce que les adultes ne disent pas et devinent que ce qui a lieu
sous leurs yeux est empli de gravité. » Retrouver ce regard permet
d’appréhender autrement le passé, dans une « contraction du temps » qui
efface tout sentiment de honte ou de fierté. Des deux Verstraeten,
Aloïs et André, elle ne retiendra que l’initiale, V, qui fut alors le
signe de la Victoire.
Cette seconde
partie du récit est pour moi la plus séduisante. La première, issue
explicitement d’un atelier d’écriture suivi en 2016, est surtout un
tremplin à l’imagination. Une description minutieuse de l’image, des
souvenirs de jeunesse égrenés « à la Prévert » — choux à la crème en
forme de cygne, saucisson de Paris, confitures de la grand-mère — se
cantonnent à la sensation brute, à l’objectivité illusoire du fait. Les
deux démarches ont leur légitimité et leur lectorat. Il n’est pas sûr
cependant que ce soit le même.
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Michel Lambert, Cinq jours de bonté, L’Herbier – Le beau jardin, 2023.
« Il fallait
faire attention où on mettait les pieds. Des bombes invisibles nous
attendaient à chaque coin de rue, à chaque coin de la pensée. Je
n’avais plus droit à l’erreur. » L’image rend bien l’angoisse
permanente qui traverse ce roman. Le narrateur, Thomas Noble, a pour
cinq jours la responsabilité de son épouse, Raya, en séjour dans une
clinique psychiatrique où elle a été admise après une crise violente
dont on ne connaîtra ni la cause ni les circonstances – juste qu’il ne
s’agissait pas de la première, mais de la plus grave. Il va l’emmener à
Ostende, où se tient précisément le Bal du Rat mort, pour tâcher de «
rafistoler » leur vie brisée, d’effacer en une trop brève parenthèse
des années d’erreurs et de malentendus.
Mais le rappel
constant des bons souvenirs, les rires partagés, les plaisanteries y
suffiront-ils, quand planent sur cette escapade la certitude de
regagner la clinique et la crainte permanente d’oublier les médicaments
? Les couples amis qu’ils rencontrent contribuent-ils à retisser les
fils ou, au contraire, aggravent-ils l’état de Raya ? Franck, « fêtard
magnifique » alcoolique que l’on considère presque comme un frère, et
Olga, qui se sent à la fois sa mère, sa fille, sa sœur, sa maîtresse,
font presque partie de la famille, plus peut-être que le fils, Patrick,
qui a fui l’atmosphère délétère de l’appartement pour étudier aux
États-Unis. Jacques et Shirley rappellent l’époque des dépenses
inconsidérées et des gamineries, un monde disparu que le narrateur sans
emploi ne peut plus se permettre. Quant à Brice et Charlotte, les seuls
amis que Raya aurait voulu revoir, ils sont écartés pour des raisons
que Thomas n’ose avouer à sa femme.
Malgré les
efforts de chacun et les moments de bonheur, les retrouvailles sont
assiégées par une angoisse sourde et permanente, que le narrateur ne
parvient pas à cerner dans des expressions évasives – une « frayeur
subite et sans fondement », un sentiment d’impuissance (« Je ne
maîtrisais plus ma vie, voilà tout »), de honte (« J’avais honte de
l’homme que j’étais devenu »), de culpabilité (« C’était infernal de se
sentir sans cesse coupable, de ceci, de cela, et de ceci encore, et de
cela, de tout en fin de compte »). Rien de concret, apparemment, sinon
l’impression de « se retrouver nu dans la main du malheur ».
Pourtant, les
raisons ne manquent pas, ni les motifs de culpabilité. Thomas a bien
des aveux à faire à Raya, qu’il distille tout au long du séjour pour ne
pas l’accabler immédiatement par des révélations brutales. Leur amour
est suffisamment solide. Les fautes récentes, les secrets que l’on doit
cacher pour ne pas fragiliser son équilibre mental, sont tour à tour
dévoilés, et pardonnés au fur et à mesure. Cela ne change rien au
sentiment général. La faute est plus lointaine et obnubile le narrateur
: « Je contemplais Raya en me demandant quel acte j’avais bien pu
commettre de répréhensible ». Quels furent « la première humiliation »,
« le premier geste inapproprié » ? Ils ne seront évoqués que
tardivement, et subrepticement, à travers la réaction qu’avait alors
eue Raya…
Peut-être même
n’est-ce pas un événement originel qu’il faut rechercher, mais un trait de
caractère, un rêve inassouvi, « cette région de moi-même que je
recherchais depuis si longtemps ». Peut-être est-ce le destin, tout
simplement, qu’il faut accuser, dans une vie qui semble programmée «
par le démolisseur en chef ou par nous, les petites mains, responsables
sans le savoir de notre propre effondrement ». Ou peut-être la
situation, qui contraint le narrateur à un rôle de « veilleur », censé
veiller sur Raya pendant cinq jours. Cela le place en observateur, hors
du champ d’action, et il ne manque pas d’apparaître comme un égoïste
aux yeux de ses proches, qui ne sont pas au courant. Sa peur même
d’intervenir dans le processus de guérison de sa femme le rend
maladroit ; sa sollicitude peut être contre-productive quand Raya
semble surtout avoir besoin d’être utile aux autres, à son fils
éloigné, à l’ami en instance de séparation : « Il y avait si longtemps
que je n’avais pas consolé quelqu’un » remarque-t-elle après avoir
parlé à son amie. Voilà peut-être ce qui lui manque pour reprendre pied
dans la vie. En fin de compte, c’est elle qui, tout au long du roman,
semble presque normale, quand on s’inquiète de plus en plus pour la
santé mentale de Thomas.
La lecture ne
peut se fier aux propos du narrateur. De petits détails, tout au long
du récit, attirent l’attention sur l’état intérieur des personnages,
comme dans les tableaux de Hopper – l’un d’entre eux illustre la
couverture – le cadre, les objets, renseignent sur les personnages
énigmatiques. La maison rose que Thomas ne parvient jamais à atteindre
au cours de ses promenades évoque la région inaccessible en lui-même.
Le siège de la voiture avancé pour un autre passager suffit à
concrétiser une infidélité. Le chapeau, un coûteux Stetson, sans cesse
perdu symbolise une « addiction à la perte » dont Raya pourrait être la
prochaine victime. Le Doppelgänger qui revient comme un leitmotiv
– « l’homme qui me ressemblait » – reflète sa position de veilleur
décalé de la situation qu’il vit. Le tableau – un Poliakoff – qu’il
veut vendre et dont il ne parvient pas à se séparer résume ses
sentiments contradictoires. Quant aux chiens qui forment comme un fil
rouge tout au long du roman, ils semblent en épouser les contours : le
chien imaginaire rappelle la période insouciante ; les chiens rêvés, la
période d’angoisse ; le chien « galopant comme un dératé » sur une aire
d’autoroute avant de rentrer dans la voiture de son maître évoque
cruellement le retour vers la clinique de Raya…
Tout l’art de
Michel Lambert consiste à nuancer les décors pour nous introduire dans
les états d’âme des personnages. Le clapotis de l’eau dans la baignoire
est tout à coup « comparable au chuchotement de l’âme, au murmure des
arbres quand une brise infime traverse leur feuillage ». Le dénouement,
qui reste ouvert à la sagacité, ou au bon vouloir du lecteur, n’ira pas
plus loin que des interrogations qui ne sont même pas formulées – un
collier de perles sera-t-il déposé dans la boîte aux lettres ? Où se
rend un taxi ? Qui a frappé à la porte ? Le lecteur inattentif, ou
optimiste, ne se posera pas même ces questions. Celui qui aura été
sensible au leitmotiv le plus
troublant – « La mort rôdait, la haine rôdait, le désir
aussi rôdait » – aura le choix entre les hypothèses les plus
contradictoire, avec cette lumineuse réponse en guise d’indice : « Je
ne sais pas. »
Les romans et
les nouvelles de Michel Lambert excellent à explorer ces blessures
toujours suintantes dont on ne sait jamais si elles cicatrisent ou se
rouvrent, les « très petites fêlures » de son premier recueil. Il porte
ici cet art à son plus haut degré. Le destin hasardeux du couple est
sans cesse déporté sur des éléments apparemment secondaires. Les « cinq
jours de bonté » qui donnent son titre au roman font écho à une
tradition du Bal du Rat mort, où l’on doit se montrer bon avec tous
ceux que l’on croise. Telle serait sans doute la thérapie la plus
efficace pour une femme malade de l’attention qu’on lui porte et qui ne
rêve qu’à se sentir à nouveau utile aux autres. Ah ! s’ils pouvaient
entreprendre ensemble « quelque chose de beau et de vrai, né de notre
volonté à tous deux et qui nous dépasserait l’un et l’autre »… Leur
tentative échoue sur un malentendu, la bonté gratuite n’étant
décidément plus de notre monde. Mais elle se reproduit, avec des
inconnus croisés dans la rue ou les couples amis. Et qui sait ?
peut-être aura-t-elle réussi ? À moins que l’échec ne soit la vraie
réponse ? « Après tout, il fallait bien que quelqu’un paie ici-bas pour
le mal qui, comme le désir ou la mort, rôdait partout, sans trêve ni
répit. » Chacun devra avoir sa lecture, et la modestie de se dire que
ce ne sera jamais que la sienne.
Voir aussi : Le
jour où le ciel a disparu, Dieu s'amuse, Le métier de la neige, Quand nous reverrons-nous ?, Le lendemain. Une touche de désastre. Le ciel me regardait.
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Arnaud Nihoul, Le témoin silencieux, Genèse, 2023
Trois toiles de
Hopper ont été retrouvées par hasard dans une caisse destinée au retour
d’une exposition annulée. Toutes les garanties ont été fournies. Elles
ont été dûment authentifiées par les techniques les plus modernes,
replacées dans un contexte historiquement certifié, avec une lettre
autographe qui garantit l’envoi au galeriste, un carnet de la main du
peintre qui en reproduit les contours... Aucun soupçon donc, mais un
incroyable profit pour le galeriste qui a acheté le fonds pour une
bouchée de pain… et un tout aussi incroyable manque à gagner pour
l’État qui a insuffisamment taxé la succession.
Rien à voir, à
première vue, avec des meurtres et des disparitions inquiétantes dans
le milieu de l’art. Sauf que la disparue avait été représentée dans
trois portraits où, étrangement, apparaissent des détails empruntés aux
Hopper miraculeux. Cela n’échappe pas à sa fille, qui décide de mener
sa propre enquête.
En dire
davantage serait gâcher le plaisir du lecteur, dans une intrigue aux
multiples rebondissements, construite avec autant d’ingéniosité que de
connaissance du milieu. Quelques idées astucieuses maintiennent
l’intérêt du lecteur tout au long d’une intrigue dont, assez vite, on
devine le dénouement : celle, notamment, de retrouver grâce à Google
Earth la retraite d’une artiste en cherchant dans ses toiles le coin
précis qu’elle a représenté. Tout le long de cette enquête, chaque
détail devra être scruté, documenté, comparé, raisonné… La
contre-expertise et l’exploration des dessous du marché de l’art
constituent sans conteste les points les plus attrayants de ce roman,
jusqu’à la pirouette finale qui le fait rebondir lorsque l’on croit
tout achevé.
Le genre bien
sûr a ses règles, limitées, qui amenuisent quelque peu le suspense.
Tout amateur de roman policier se doute qu’un cadavre disparu dans un
accident n’est pas bien mort, que les toiles dûment authentifiées ne
peuvent qu’être génialement fausses, que les deux jeunes enquêteurs qui
refusent de s’engager dans une aventure finiront par se marier…
L’essentiel n’est pas dans le faufil rouge de l’intrigue, dont le
romancier semble se jouer par des clins d’œil subreptices au lecteur.
L’usage parfois abusif des dialogues informatifs, qui accélèrent la
lecture, et des coïncidences qui évitent les longs détours explicatifs,
est malicieusement souligné de remarques ironiques qui mettent le récit
en perspective : « Un sacré concours de circonstances ! », « La roue du
destin continuait de tourner », « dingue ! », « une histoire sortant de
l’ordinaire », « la première tentative fut la bonne », « vous avez eu
de la chance sur ce coup-là »…
Il ne faut pas
lire ce livre comme un roman policier classique, mais y chercher la
complicité salvatrice entre le lecteur et un romancier rompu à son
métier. Tout se joue dans les articulations du récit, que ce soit dans
la contre-expertise méticuleuse ou dans les approches timides entre
Julian et Kerry … Tout se joue aussi dans l’atmosphère, dans la
description de New York — « cette ville était de l’énergie pure » —,
dans l’évocation des milieux artistiques contemporains, avec leur
générosité mais aussi leurs malversations, leurs supercheries. Il faut
savoir distinguer les vraies audaces des gabegies de l’art éphémère,
qui donnent lieu à de désopilantes évocations : des tôles rouillant
dans un ruissellement d’eau, des sculptures en cire de bougie que
plusieurs mèches allumées font lentement retourner au néant… C’est sur
ce fonds en demi-teinte qu’éclate le génie de Hopper, dont les toiles
structurent ce roman : il ne jugeait pas, mais observait et révélait,
comme le « témoin silencieux » qui a donné son titre au roman.
Le roman,
surtout, invite à réfléchir à des enjeux plus graves de notre époque,
comme les rapports entre la majorité blanche et les populations
autochtones des États-Unis. Superbe trouvaille, notamment, que ce musée
inconnu, aboutissement de l’idéal de reconnaissance de l’art
amérindien, où il peut enfin exercer son droit à côtoyer les autres
grands artistes américains sans être considéré comme de l’art «
ethnique ». Belle réflexion, aussi, sur la raison d’être d’un tableau,
dans une galerie privée, un musée public, un coffre de banque ou un
cabinet secret… « Finalement, dans la vente d’un faux, beaucoup y
gagnent, seul l’acheteur perd. Je trouve le bilan largement positif. »
Clin d’œil mis à part, cela porte à réfléchir…
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Patricia Castex Menier, Havres, Les Lieux-Dits, 2023.
« Le bonheur
n’existe qu’en détail. » C’est souvent l’apanage du poète d’épingler
ces petites épiphanies du quotidien qui rendent le monde merveilleux,
et — pour un instant précieux — supportable. « Où / va se nicher la
merveille ? » Partout, mais en particulier là où on ne l’attend pas.
Elle ne survient qu’à l’improviste, dans une rencontre subreptice entre
un détail bien ordinaire et le regard qui l’épingle, les mots qui le
magnifient. Les oiseux, surtout, sont privilégiés, du corbeau aux
colombes, du bec du moineau à la tache blanche au cou du ramier.
Et le poème surgit lorsque l’écorce du bouleau semble avoir la chair de
poule…
« Personne
ne connaît jamais
le
monde entier. »
Il reste
toujours le détail à débusquer où « frotter l’allumette du regard ».
Cette complémentarité entre le voyage, les grands espaces, et le petit
miracle quotidien traverse plusieurs recueils de Patricia Castex Menier
— on songe à Cargo, notamment, où le dépaysement du voyage rend précisément plus sensible à ces impressions fugitives.
Bien des poètes
s’en tiennent à ces émerveillements. Mais ce recueil prend une tout
autre dimension par son titre, par des passages en italiques plus
douloureux, par des images plus inquiétantes. Oui, ils existent, ces
moments privilégiés, où le regard soudain s’élargit à l’univers par la
magie d’un détail, mais ce ne sont que des « havres » dans le parcours
chaotique de l’existence. Plus souvent, « on dirait que le monde
rétrécit. Il se crispe. » C’est alors qu’il faut carguer la voile — «
Havres pourtant, dans l’anse du jour ».
Ne nous étonnons
donc pas de voir le bonheur assombri de nuages. Chaque matin, après
l’émerveillement de l’aube, on reprend le large, même s’il ne s’agit
pas de traverser le monde (« les / voyages tiennent dans la main »). Il
faut quitter le havre, reprendre « le / baluchon de l’inquiétude » lié
avec « le / nœud de l’angoisse ». Les « événements du cœur » viennent
colorer différemment le ciel, parlent plus fort que l’exaltation
éphémère (« L’enthousiasme / est discret »), et masque le mirage sous
la routine du voyage – combien de fois avons-nous oublié d’applaudir
devant le soleil qui se lève, se couche et recommence ?
Apercevoir le
havre où se ressourcer demande une vigilance aiguë. Et c’est à deux,
souvent, que l’on aiguise son regard : « nous / n’omettons jamais //
d’entrer / ensemble et tout entiers // dans le frisson rosé du
cerisier. » On songe bien sûr à Accoster le jour, où Patricia Castex Menier a partagé le voyage avec Sylvie Fabre.
Mais aussi aux recueils, parallèles ou communs, partagés avec Werner
Lambersy, à Delphes, en Andalousie... La traversée à deux, la quête de
nouveaux havres est une aventure privilégiée. Mais si fragile,
lorsqu’on peut renverser « d’une simple chiquenaude » l’arbre du corps,
lorsque « d’une pichenette » on refait sa vie. Ces poèmes ont été
composés et partiellement publiés entre 2017 et 2021, avant que le
couple ne soit brisé par la vie. L’ombre du deuil se sent déjà dans les
passages en italiques, avec ses réalités brutales (« les insectes, les
larves, les fluides. Ne pas y songer plus que cela ») et sa quête
opiniâtre du havre (« Mais combien de temps / faut-il pour maquiller
les morts »). Il faut alors s’appuyer sur la mémoire (« se dire que
nous avons été heureux ») pour que le monde à nouveau s’élargisse et
que le recueil puisse s’achever sur un espoir nouveau (« attendant
confiants qu’accoste la clarté »). Il y aura toujours des tempêtes,
mais toujours l’espoir du havre.
Voir aussi : X fois la nuit, Passage avec des voix, Suites et fugues, Le dernier mot, Soleil sonore, Adresses au passant, Bouge tranquille, Al-Andalus. Chroniques incertaines. L'insinct du tournesol. Accoster le jour. Cargo.
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François Emmanuel, Le cercle des oiseleurs, Les impression nouvelles, 2023.
« On voit ce que
l’on croit voir, on vit une vie tranquille, et puis un jour le monde
n’est plus tout à fait le monde. » C’est cette expérience que vit Léo
Vogel, le narrateur, lorsqu’il est impliqué malgré lui dans la
disparition d’un collègue. Léo travaille au service « Missions, C/S,
Pay Master Office, Contrôle et Budgétisation » au sein d’une grande
institution internationale, sous les ordres de Charlie, qui prend sa
retraite dans les premières pages et disparaît dans les suivantes, au
cours d’une virée bien arrosée avec son ex-collègue.
La disparition
est le discret leitmotiv de ce roman. « J’ai l’esprit qui part en fuite
», avoue le narrateur ; de fait, les procès-verbaux dont il a la charge
connaissent par moments de déplorables lacunes qui lui coûtent sa place
— comment ne pas faire le rapprochement, quelques dizaines de pages
plus loin, avec le chant du rossignol, dont « certains segments sont
désormais manquants » ? L’univers des oiseaux, qui donne son titre au
roman, semble souvent le reflet imagé des aventures qui arrivent au
narrateur.
Son métier,
donc, consiste à rédiger les procès-verbaux institutionnels destinés à
être traduits dans toutes les langues avant d’être enfouis dans les
archives. Mais « qu’est-ce qu’y est important au fond, qu’est-ce qui
mérite d’être écrit, et, en vrai, pourquoi l’écrire ? » La question se
pose au rédacteur de comptes rendus inutiles, mais elle concerne aussi
tout romancier responsable… Ironie du destin (ou du romancier) : suite
à une série d’inadvertances, de « trous de la vie », Léo est muté de
poste en poste et d’étage en sous-sol jusqu’à se retrouver au service
des archives, où il est chargé « d’éliminer les dossiers non banquables
», en fait de broyer tous les textes devenus obsolètes dans une machine
infernale nommée Deletor-Nexa…
Cette
disparition du texte est à mettre en parallèle avec celle de Charlie,
le collègue admis à la retraite, qui constitue la trame du récit. Avec
celle des oiseaux, qui en constitue la chaîne. Et, plus largement, avec
la société de l’oubli qui est la nôtre et où tout est voué à
disparaître. Ici non plus les choses ne sont pas tranchées ; il s’agit
d’une « disparition sournoise, comme un principe d’absence » qui
s’insinue jusque dans les mots que le service du narrateur est chargé
de noter, de commenter, de traduire… En somme, une société du « rien »,
sur lequel Charlie a entrepris un livre. Quant à Léo Vogel, il est
assailli par des rêves où intervient une machine à désécrire…
Nous suivons
donc l’histoire d’un homme qui disparaît alors qu’il écrit un livre sur
rien : autant dire que ce roman n’a rien d’une enquête policière, même
s’il en adopte la forme — voire, par moment, celle du roman
d’espionnage où l’on s’offre des oiseaux « pucés » ! Car la disparition
de Charlie est liée à sa participation à un étrange « cercle des
oiseleurs » qui n’a rien d’un club ornithologique, et dont l’activité
reste nébuleuse pour ses membres eux-mêmes. Liée aussi à un non moins
étrange trafic d’oiseaux dont le réseau est d’autant plus obscur qu’il
est décrit par femme de ménage albanaise dont le français approximatif
nous vaut de succulentes confusions, ainsi que par une « joyeuse petite
tante » inspirée, dont les prophéties n’ont rien à envier à
Nostradamus, sans oublier le livre de Charlie et ses inquiétantes mises
en garde — « méfie-toi de ce qu’ils mettent à la place du ciel »…
On comprend peu
à peu que la préoccupation centrale du cercle des oiseleurs, la
disparition inéluctable des oiseaux, cache une disparition plus
fondamentale, dont le romancier ne fait qu’évoquer le malaise, mais
dont l’autre symptôme est la disparition de la poésie. Le cercle est la
traduction métaphorique de ce malaise. L’archiviste de la société ne
professe-t-elle pas que « nous avons tous en nous un grand nombre
d’oiseaux » ?
Milles petites
anecdotes, la plupart véridiques, viennent nourrir ce malaise. Celle du
xénique de Lyall, un oiseau dont tous les spécimens ont été croqués par
le même chat, le temps qu’une revue savante s’y intéresse. Ou celle du
Méridien d’Amwich, où vivait un oiseau qui n’est plus connu que par les
dessins d’un ornithologue atteint d’une cécité montante. Toutes ces
histoires invraisemblables, ces questions oiseuses, ces « réponses
vaseuses marquées du sceau de l’incertain » par tous ces « allumés de
la touffe » réunis dans un cercle aux contours impalpables, dessinent
un autre regard sur le monde. « On pourrait dire que le bizarre se
définit comme un trou dans la logique des choses, et on pourrait dire
aussi que c’est par ce trou que s’introduit le bizarre. » C’est par ce
trou en tout cas que disparaissent les personnages, les oiseaux, les
mots. Pour aller où ? « On aime ignorer combien les trous de la vie
ouvrent des espaces insoupçonnés. » C’est en cela que ce roman, aux
accents parfois apocalyptiques, contient paradoxalement une leçon plus
optimiste. Comme dans l’apocalypse chrétienne, qui voit dans la
disparition du monde matériel la condition du dévoilement d’un monde
spirituel, la disparition ouvre ici sur autre chose, « des espaces
insoupçonnés ». Sans doute est-ce pour cela que le roman se conclut
(provisoirement) sur de petits textes entre poésie et récit, qui
omettent significativement le point final mais qui n’omettent pas de
longs blancs en bas de page.
La disparition,
en définitive, est peut-être une chance : celle de trouer la carapace
du monde, celle de nos habitudes qui nous empêchent de voir au-delà de
notre culture. Comme pour l’apocalypse, il y a alors un dévoilement. Et
pour l’écrivain, la question cruciale est bien sûr celle des mots, qui
révèlent et mutilent le monde. « Les mots de la mémoire nous empêchent
de voir », souligne furtivement une disparue qui pourrait détenir la
clé de l’intrigue. Regarder un oiseau, par exemple, c’est tâcher de le
voir comme si c’était la première fois, ce qui est très difficile, car
le regard se souvient. C’est pour cela que, pour devenir oiseleur, il y
a « beaucoup de choses à désapprendre ». Et pour l’écrivain qui ne veut
pas se limiter à être « un mauvais bougre fumailleur » quoique auteur à
succès, il y a toute une langue à détricoter pour nous faire atteindre
une autre réalité. Si l’homme est parfois en équilibre instable, ainsi,
ne nous étonnons pas que l’ivrogne se retrouve parfois « en
déséquilibre stable ». On voit tout de suite de quoi il s’agit, et on
ne s’étonne plus qu’un tramway nommé Silence geigne de tous ses fers !
Voir aussi : Les murmurantes, Le sommeil de Grâce, 33 chambres d'amour, Jours de tremblement. Anna et ses ombres. Raconter la nuit.
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Werner Lambersy, Mes nuits au jour le jour, Météor, 2023.
Deux pôles
focalisent souvent les poèmes de Werner Lambersy : le minuscule et
l’infini, le dérisoire en apparence et le rêve méfiant de l’absolu, le
jour et la nuit… Non seulement rien n’oppose ces univers censés
contradictoires, mais le poème, comme un courant, les conjugue dans une
même vision, dans une même image. Attentif à la « beauté furtive », il
s’attache à la traduire en une formule lumineuse qui nous la rend
soudain indispensable : « À mes pieds / Les pigeons énervés /
Boursicotent » — « Les fleurs sont des arrêts d’autobus / Facultatifs
». Aucun maniérisme dans ces images, qui n’ont rien de gratuit, qui
nous frappent au contraire par leur évidence, presque leur nécessité,
et qui nous élèvent brusquement vers des espaces insoupçonnés. Nous
goûtons au « pain bis de l’absolu », nous écoutons « Le concert / De
criquets des étoiles », nous regardons s’élancer, entre la poussière
sous nos pieds et l’azur au-dessus de nos têtes, le « Paisible /
Rhizome entre ciel / Et terre ».
Le lien qui se tisse entre l’homme et le cosmos est d’ordre familial.
Il s’établit
au fil des pages, au détour d’un vers — « l’arbre aurait pu être mon
frère » — « la terre ma mère » — « Le soleil comme moi »… Il passe par
les cinq sens, « le frisson / De chair de poule des nuits », « Les
baisers sur la bouche d’ombre » ou « le goût de mangue du monde ». Des
sens dont le réveil est impératif — « Le premier / Des commandements
est l’odeur ». Des sens intérieurs plus subtils peut-être que les sens
extérieurs : « Quand je dors / Je regarde plus loin / Que mon œil //
Quand je dors / Je regarde plus près / De mon âme // De cette lumière
qui / Ne s’éteint / pas ». Voilà pourquoi la nuit est le domaine
privilégié du poète — faut-il rappeler le magistral Architecture nuit, ou le clin d’œil d’Échangerais nuits blanches contre soleil même timide
? L’obscurité qui semble nous priver du monde en découvre la structure
invisible. « La nuit n’est jamais fatiguée / D’être la nuit », ni le
poète d’y regarder la doublure des choses.
Bien sûr, tout
n’est pas si simple, et surtout pas si rose. Le mal est dans l’homme et
il contamine le monde. « L’univers n’est que meurtre » : la révolte, la
dénonciation ont toujours été présentes dans les recueils de Werner
Lambersy et semblent s’être accentuées dans les dernières années.
Aucune échappatoire pour celui qui subit les coups du temps — «
La vieillesse n’offre aucune sortie / De secours » — et pas même
d’espoir dans les générations à venir — « Le futur / Est venu au monde
trop fripé ». La rage continue à l’animer contre tout ce qui menace,
détruit, anéantit ce dialogue primitif entre l’homme et le monde. Comme
Till Eulenspiegel répétant inlassablement que les cendres de son père
battent sur sa poitrine, Werner Lambersy nargue hommes et diables : «
Les cendres de Liberté / Battent sur mon cœur ». Car dans un univers où
tout est inextricablement emmêlé, le mal et le bien se renvoient la
balle. Et la beauté, qui nous réconcilie avec le monde, croît dans la fissure comme le lierre s’accrochant au mur. Cela ne justifie en rien le mal et n’absout pas celui qui l’apporte. Mais cela permet d’y survivre. « La beauté réside dans la faute / Qui a provoqué sa fuite // Le
goût incomparable / De la défaite en devient le prix ». Paradoxe assumé. Illusion ?
Peut-être. Mais nécessaire pour continuer à vivre.
Jusqu’au moment
où ce n’est plus possible. On ne peut lire ce recueil sans penser que
le poète nous a quittés voici un an et demi et que ces textes ont été
écrits dans la conscience d’une fin proche. La mort hante ces pages,
les amis disparus y sont convoqués comme dans l’imminence de les
rejoindre, des plus lointains, la mère, la grand-mère, aux plus
récents, Marcel Moreau, Jacques de Decker, en passant par les proches,
André Beem, Léo, Babette. Qu’ont-ils à dire à l’athée, même
provisoire (« Sans dieu je suis seul / Dieu n’est pas ») ? Peut-être
qu’ils restent parmi nous tant que nous pensons à eux et que nous
entendons « L’écho de notre rire dans l’au-delà ». Peut-être que, si la
nuit ouvre à l’envers du monde, la grande nuit nous ouvrira sur
d’autres perceptions.
« Un jour
On va me dire c’est fini
Mais je ne pourrai pas
L’entendre
Je serai à l’écoute de
L’infini
Pour savoir
Le bruit que cela fait
Quand on a des ailes
Pour battre
Le beurre des temps »
Peut-être. Mais c’est sur ce peut-être que nous construisons la vie.
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Voir aussi
: Parfum d'Apocalypse,
Journal
par-dessus bord, Cupra Marittima, À l'ombre du bonsaï, L'assèchement du Zuiderzee, Le mangeur de nèfles, Déluges et autres péripéties, Dernières nouvelles d'Ulysse, La perte du temps, Escaut ! salut, Ball-trap, La chute de la grande roue. Départs de feux, Bureau des solitudes, La déclaration, Du crépuscule des corbeaux au crépuscule des colombes, Al-Andalus, Achille Island, Au pied du vent. Le Grand poème. Ligne de fond. Le jour du chien qui boîte. Entrées maritimes. L'Agendada (3). Memento du chant des archers Shu. Table d’écoute, Les convoyeurs attendent, Et plus si affinités, Dormances.
Gabriel Ringlet, La blessure et la grâce, Albin Michel, 2023.
« Joie, les
hérétiques, leur foi sera plus légère. » Cette traduction audacieuse
d’une des huit béatitudes, reprise et commentée en « Finale » de ce
livre, mérite d’être mise en exergue, tant elle résume bien la
conviction de l’auteur que l’évangile n’est pas achevé et que chaque
époque doit le reprendre par des « traductions stimulantes », la
confrontation avec l’actualité, les créations des artistes. La démarche
est nourrie d’une foi sincère, mais dépasse le propos religieux et
donne envie à l’athée non pas de croire ni de rejoindre une église,
mais de saisir la main tendue par-delà les différences, avec, et non
malgré les différences.
Le livre
s’enracine dans l’ancien Testament, brièvement, le temps d’une «
Ouverture » qui évoque les Lamentations jadis attribuées au prophète
Jérémie, un texte d’une brûlante actualité dans ces temps agités que
nous vivons et que le prophète a connues lors de la destruction de
Jérusalem et la déportation à Babylone. Surtout, ces poèmes, parmi les
plus beaux de la Bible, jettent un pont audacieux entre passé, présent
et futur : « Voici que je vais me remettre en mémoire pourquoi
j’espérerai. » Et ils invitent au dépassement de l’écriture auquel
aspire Gabriel Ringlet : « Les bontés du Seigneur ! C’est qu’elles ne
sont pas finies ! C’est que ses tendresses ne sont pas épuisées ! »
Dans les
évangiles, c’est l’Esprit saint descendant sur les apôtres à la
Pentecôte qui assure cette ouverture de l’écriture. Depuis toujours,
c’est le troisième âge de l’Église, celui qui aurait dû ouvrir un «
troisième Testament », l’évangile éternel dont rêvait Joachim de Flore
et dont Gabriel Ringlet n’est pas loin. Le « successeur » du Nazaréen
pour lui n’est pas Pierre, mais ce « Souffle sacré » qui deviendra « un
nouveau Défenseur au barreau de l’Évangile ». « Sa respiration inspire
et jette un pont entre le temps de l’oralité et celui de l’écriture. Et
c’est lui, ce nouvel Avocat sans frontières, qui va se tenir à nos
côtés sous toutes nos latitudes. »
Sur ces bases,
soixante courts textes répartis en huit chapitres, nombre christique,
commentent une phrase tirée d’un évangile à la lumière d’un événement
actuel et la raccrochent à l’évocation d’un écrivain récent. Sans
quitter Matthieu, Marc, Luc et Jean, nous allons ainsi côtoyer Stromae,
Sôseki, Peter Handke, Jean Sulivan, Georges Haldas ou Salah Stétié.
L’auteur y puise quelques réflexions puissantes, quelques formules
fortes, comme l’évangile du gitan de Jean-Marie Kerwich ou « l’ennemi
revêtu de ma propre chair » de Bernanos.
Le second axe de
sa réflexion est la confrontation des paroles sacrées avec le quotidien
d’un prêtre humaniste et engagé dans l’action sociale la plus concrète.
Jésus devient sous sa plume une figure presque familière. À Nazareth,
les anciens se réjouissent de voir un jeune prendre la relève, avant de
s’effrayer de ses propos… Combien de responsables associatifs n’ont-ils
pas connu cet espoir vite refroidi faute d’avoir su miser sur l’avenir
et non sur la perpétuation du passé ? Ce livre parle d’abord de notre
monde, du confinement, de la guerre en Ukraine. Et de
l’incompréhension, des tensions, des haines. « Quelle actualité !
Élargir le prochain. C’est insupportable à l’heure des rétrécissements
identitaires et des nationalismes. Alors, on le gifle. » Au gré des
courts chapitres, nous allons donc revivifier un texte
malencontreusement sacralisé, par la lettre d’une patiente hospitalisée
ou par une annonce nécrologique. Nous renverserons quelques analyses
hâtives. Les clarisses de Malonne, en accueillant la compagne de
Dutroux, « ont posé un acte strictement laïque » alors qu’elles se sont
vues « lynchées avec violence au nom d’un faux sacré ».
Cette
actualisation du texte passe par celle du langage. Les formules sont
parfois osées : « Marthe s’énerve et perd un rien les pédales » ; pour
commenter « Augmente en nous la foi », Gabriel Ringlet se demande
quelle sicav Jésus conseillerait pour augmenter notre capital croyance…
On sourit, on se laisse convaincre. Pour « déblayer la pensée », il
faut d’abord déblayer le langage, et l’on finit par déblayer la
célébration. C’est sans doute le côté le plus stimulant de ce livre.
Lorsque Jésus touche le lépreux, malgré l’interdit, « c’est le pouvoir
religieux lui-même qui est touché, en plein cœur. »
Ne nous y
trompons pas, pourtant. Ce livre, engagé, ne se veut pas militant. Son
titre emprunte à la pianiste Hélène Grimaud la conviction que
l’artiste, conscient de sa blessure, en fait une grâce. Telle était
l’action de Jésus, nous dit Gabriel Ringlet. Il ne s’accommode pas de
la blessure : il l’apaise, la panse, « et même si elle continue à
couler, il en fait une grâce ». La conviction est forte et contagieuse,
lorsqu’elle est sincère, et c’est le cas. La grâce peut naître de la
blessure, comme une conséquence, non comme un but. La frontière est
étroite entre les deux attitudes. « Pour hériter il faut s’endeuiller
et traverser l’épreuve de la perte », lit-on. Oui, sans doute, car il
n’y a pas d’héritage sans deuil. Mais l’héritage n’est pas un but en
soi. « Hériter, c’est-à-dire renouveler, inventer et pas simplement
répéter » : sans doute, puisque le renouvellement suppose une
transmission. Mais ce n’est pas un but, c’est une conséquence.
Je ne fais pas
de faux procès. Le grand mérite de ce livre est au contraire d’appeler
constamment à remettre en question ses certitudes, et il commence par
lui-même. Dresser des cabanes pour la fête de Soukkhot, c’est « oser
quitter son enracinement, sa stabilité », « se libérer intérieurement,
pour se renouveler, pour s’ouvrir davantage à l’Autre ». Traverser
l’épreuve n’est pas une fatalité, mais lorsqu’elle est là, il faut bien
la surmonter. Le père Bacq atteint d’un cancer de la gorge demandait à
ses visiteurs s’il pourrait reparler. Un seul lui a répondu : « Je ne
sais pas si tu pourras reparler, mais ce que tu vis maintenant, comme
tu le vis, nous aide pour le jour où nous serons nous-mêmes en
difficulté. » La voilà, la grâce de la blessure. Non celle qui
s’abaisse pour s’élever, mais celle qui prend appui sur son
abaissement, comme Ève Ricard dansant « sur le chaos de son Parkinson
». C’est dans ce chemin étroit entre le sacrifice consenti et la force
de résilience que l’auteur nous engage. « La Transfiguration n’est pas
une invitation à choisir l’exceptionnel mais un encouragement à
regarder l’ordinaire autrement. »
Les évangiles
constituent une assise solide pour ces réflexions. Mais ils contiennent
aussi des « versets sataniques », contre lesquels l’esprit humaniste se
heurtera toujours. « Autant le dire tout de suite : je n’aime pas ce
verset », ose parfois l’auteur. Que faire des versets de violence et de
division, les « décalages horaires » que l’on y rencontre parfois ?
Certains parlent de calculs mesquins des apôtres, qui n’ont « vraiment
rien compris », mais certains sont de Jésus lui-même, qui aime
provoquer ou qui, tout simplement, est conforme à son époque, qui n’est
pas la nôtre. « Pas la paix, mais le glaive », peut-il trancher. C’est
lui aussi qui encourage le trafiquant indélicat, comme s’il nous disait
« Ne traînez plus ! Jouez votre va-tout ! Faites-vous des amis avec
l’argent malhonnête ! » Le commentateur lucide doit alors être sincère
avec ses convictions. « Inutile de tourner autour du pot, d’adoucir,
d’atténue, de relativiser. Il y a dans l’Évangile des paroles
insupportables. »
Pourtant, ces
textes, ils existent, il faut bien « les porter en soi, comme une
écharde dans la chair. » Parole de croyant sincère, que l’on respecte.
Mais combien de prélats s’en sont servis pour asseoir leur pouvoir,
écraser, réprimer, s’enrichir au détriment de leurs ouailles ? Peut-on
l’oublier, accepter à son tour l’iniquité justifiée par l’Écriture
comme une nouvelle écharde, qui grossit de siècle en siècle ? Peut-on,
comme les jésuites chiliens, accueillir tour à tour l’aumônier de
l’armée et un ancien prisonnier du dictateur ? L’enjeu « est d’aimer en
chacun le versant tourné vers Jésus », commentent-ils, et l’on comprend
que cela puisse séduire. Mais peut-on s’ouvrir à l’autre, jusqu’à ce
qui nous révulse le plus en lui, simplement parce qu’il nous renvoie le
même reflet de Jésus ? Non, cela ne me paraît pas supportable si ce «
Jésus » commun est le reflet d’une foi qui excuserait les pires
atrocités. À ce « jésuitisme » trop facile je préfère l’appel du
finale, « Osez une foi qui n’est pas encore dite » — en y ajoutant :
même si elle n’est pas le reflet d’une croyance. Joie, l’hérétique. Et
joie, l’athée.
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Voir aussi : Effacement de Dieu, La grâce des jours uniques. Va où ton cœur te mène.
Gilles Verdet, L’arrangement, Éditions in8.
« C’était pas
l’idée de départ, mais paraît que les intrigues des vrais romans
s’inventent chaque matin et s’écrivent sur le tas. » Le principe semble
à l’œuvre dans le nouveau roman de Gilles Verdet. Il y a bien une
situation de départ, désespérément banale, malheureusement : après une
faute professionnelle grave, Amandine, une caissière d’hypermarché, se
voit proposer par son DRH un « arrangement », sous la ceinture, bien
entendu. Avec la narratrice, vendeuse au rayon poissonnerie, elle
décide de se venger et enlève le salopard. Mais qu’en faire, à part le
balader à travers la France dans un coffre de voiture ? Chaque étape
invente ses aventures.
Roman picaresque
en pleine crise des Gilets jaunes ? Pas seulement. « Les petites joies
de la vie, c’est la conjonction des bizarreries. La collision
d’incongruités. » Et les collisions ne manquent pas. À chaque fois,
elles font mouche. D’abord, parce que tout semble guidé par le hasard —
« au hasard du hasard » risque-t-on même devant la roulette du casino,
symboliquement le premier lieu de liberté que découvrent les deux
vendeuses. Mais ce hasard fait bien les choses. « L’arrangement »
proposé au départ par le DRH et qui va donner son titre au roman se
répète à chaque étape, et la réponse est invariable : pas de
concession. Deux mondes se côtoient et s’affrontent tout au long du
récit. Le vieux monde, celui des arrangements qui, toujours, profitent
au plus fort, et celui de l’intransigeance qui balaie du bras (armé,
bien entendu) les offres de compromis. Les gilets jaunes, victimes du
système qui les écrase, symbolisent bien ce refus de la concession dans
laquelle Amandine et la narratrice semblent au départ se résumer. Le
féminisme dur que pratiquent les deux jeunes femmes ne laisse aucune
chance aux hommes — « une femme n’est jamais aussi l’égale de
l’homme qu’avec un pistolet en main ». La revendication de liberté est
totale et sans réserve. Elle s’exprime en envolées convaincantes : «
l’absence de peur et d’oubli, la plus jouissive émotion du monde,
l’oubli du lendemain, de toutes les heures et tous les autres jours à
venir » traduisent chez les deux fugitives l’urgence de jouir et de
rattraper les arriérés de la vie.
Mais au fur et à
mesure de leurs pérégrinations, on comprend qu’une troisième voie est
possible entre arrangement et intransigeance : la subversion. De même
qu’on investit les clichés pour leur faire cracher leurs vérités, on
peut vaincre le monde des arrangements en retournant ses armes contre
lui. Des féministes peuvent s’indigner d’être considérées comme des
femmes « fragiles, ingénues aux idées sages », mais cela leur permet de
passer les barrages de police avec un prisonnier dans le coffre et un
revolver dans le sac à main. Et la merveilleuse pirouette finale montre
l’habileté de nos comparses à profiter du système dont elles ont percé
les rouages.
C’est en cela
que le roman est plus subtil qu’une première lecture le laisserait
penser. Si la structure qui le sous-tend semble se construire au fur et
à mesure, elle n’en est pas moins solide. Les rencontres sont
significatives pour celles qui les vivent, comme les hasards objectifs
de Breton frappent les esprits préparés : dans les ports, la vendeuse
de poissons se retrouve « à l’origine de la chaîne », en ciré jaune,
quand elle est pour sa part « le terminus en tablier bleu ». Les gilets
jaunes qui provoquent le licenciement d’Amandine deviennent à la fin sa
nouvelle famille. Les liens qui se tissent entre hasard et nécessité
narrative font de la vie un scénario, ce dont les deux fugitives
prennent conscience en rencontrant (hasard ? nécessité ?) un scénariste
et ses collaborateurs. La distorsion (ou les petits arrangements ?)
entre la fiction à la mode et la réalité vécue les frappe aussitôt.
Elles ne voient que « des plumitifs en bottines, des chieurs de rêve et
des pisseurs d’illusion » qui attendent d’elles des anecdotes vécues
sur la banlieue, mais conformes à leurs stéréotypes « Ils voudraient
qu’on parle de viols, de tournantes, de prostitution forcée. Ah les
cons. »
Et c’est par la
fiction biaisée qu’elles vont pénétrer la mécanique sociale et
comprendre comment elles peuvent en profiter. Un doute s’insinue en
elles sur ce qu’elles vivent, sur la place qu’on leur alloue dans le
décor : « La fiction, c’est nous ou les autres ? Qui va inventer la
suite ? » Quant aux comparses, ils se réduisent à des personnages sans
épaisseur, comme le policier qui arrête la narratrice : « son rôle est
écrit, scénarisé depuis toujours, clichetonné dès l’invention du cinéma
de genre. » Alors, pourquoi ne pas écrire soi-même la suite de son
histoire ?
La construction
subtile des romans de Gilles Verdet est un des principaux plaisirs
qu’il nous réserve. Ce n’est pas le seul. Il a le chic d’évoquer une
atmosphère en quelques phrases, l’émulation de Noël, l’activité des
ports, une manifestation épique de gilets jaunes à Marseille, ou un
incroyable concert de Bach au milieu de la foule. Une pointe de culture
(des références aux saturnales ou au charivari médiéval) vient pimenter
le parler populaire qu’il adopte avec gourmandise. Chaque page
fourmille de formules éloquentes et surprenantes, dignes de Michel
Audiard : « Le café avait le goût ordinaire du carton », « elle boitait
un peu de la tête », « les clins d’œil du passé, c’est des sacs de
rigolade en réserve »… et ma préférée : les « pantouflards du béret ».
Hérité d’Audiard, aussi, l’art de dériver des formes verbales des
substantifs les plus inattendus — ah, le fameux « je correctionne plus
» des Tontons flingueurs…
Ici, on entracte, on s’enfleure les bronches, on s’écharpe le cou et
s’embonnette de laine, on ultimatume, et l’on entend presque la voix de
Bernard Blier : « je décris, je détaille, j’anecdotise et je
circonstancie tout depuis le début »…
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Voir aussi
: La sieste des hippocampes, Voici le temps des assassins, Fausses routes, Les Ardomphes. Nom de noms. Les passagers.
Daniel Mesguich, Philippe Bouret, Le Spectre du théâtre, Bouquins Essais 2023.
« Être artiste,
c’est […] aller forer […] le plus profondément possible ce qui
n’existe pas — gigantesque nébuleuse qu’on appelle “la réalité” — pour
en rapporter telle “chose” “à la surface” et la faire exister lisiblement
pour soi et pour les autres. » Ce passage d’un dialogue d’une richesse
et d’une densité extrêmes met le doigt sur une des convictions
fondamentales autour de laquelle il s’articule : le vide, le néant,
l’inexistence ontologique de ce qui nous apparaît comme « la réalité ».
Tout en écartant le mot qui définirait le mieux son attitude, mais
dévalorisé par ses emplois religieux et profanes — « mystique » —
Daniel Mesguich s’en remet plutôt à la déconstruction de Deridda,
l’auteur le plus souvent cité avec Hélène Cixous, Heidegger ou Hannah
Arendt (auquel j’ai plaisir d’ajouter Werner Lambersy, qui revient très
fréquemment dans la bouche de son interlocuteur, Philippe Bouret).
La démarche,
commune au poète, au romancier (bien des points sont très proches des
pratiques de la Nouvelle Fiction) ou au dramaturge est plus familière
au théâtre depuis le Paradoxe du comédien de
Diderot, qui rappelle que si le comédien peut endosser tous les rôles,
c’est parce qu’il s’est vidé de ses passions. On ne peut accueillir le
tout qu’en n’étant rien, évidence qu’avait dans un autre domaine
suggérée maître Eckhart (le mot « mystique » me fait pour ma part moins
peur qu’à Daniel Mesguich, pourvu bien sûr qu’elle soit athée...) : le
vase ne se remplit que s’il est vide et tourné vers la pluie. À tel
point que Marc Goldschmit, qui préface le recueil, souligne que «
Mesguich déplace sur le personnage quelque chose du paradoxe du
comédien formulé par Diderot ».
C’est exact, à
ceci près que la déconstruction que le metteur en scène opère va
beaucoup plus loin. S’il professe qu’« un personnage, ça n’existe pas
», puisqu’il n’est qu’un être d’encre et de papier comme la pipe
de Magritte n’est que de toile et de peinture, on comprend vite qu’il
en va de même pour l’acteur, l’auteur, le metteur en scène et, au fond
pour « tous ces mots encore sacro-saints pour les gens du théâtre
», la situation, le contexte, l’incarnation. Un comédien peut-il
incarner un personnage, comme le proclament les affiches et les
services de presse ? « “Entrer dans la peau du personnage” (quelle
horreur, mon Dieu, quelle abominable opération frankensteinienne !
Entendez-vous craquer les cartilages ? » Si De Niro explique qu’il a dû
grossir pour incarner un homme obèse, va-t-il se couper le bras pour
incarner un manchot ? Le théâtre ne montre que « la possibilité du vrai
». C’est le rôle du metteur en scène, de diriger une brune jusqu’à ce
qu’on voie aussi toutes les blondes en elles…
Pour beaucoup,
il s’agit là d’une évidence, du moins depuis Diderot. Pour la
génération actuelle qui redécouvre l’assignation culturelle (il faut
être noir pour jouer un noir…), certaines évidences doivent être
rappelées. Comme il faut rappeler que la liberté laissée à l’acteur par
un metteur en scène indigent est une tromperie : en l’absence d’une
direction d’acteur stricte, le comédien ne fait « qu’obéir servilement,
à son insu, au pire des metteurs en scènes, toujours le même, celui qui
s’appelle “idéologie dominante”. » En cela, cet entretien va bien plus
loin qu’un cours de théâtre et prend une évidente dimension politique.
On n’est pas étonné d’y croiser des djihadistes, qui croient à la
réalité de ce qu’ils disent. « Dieu, pour eux, c’est du solide ». Au
théâtre, à l’inverse, tout est vrai et ce n’est pas vrai en même temps.
Jadis, pour cette raison, les comédiens étaient excommuniés par
l’Église. Certains passages de ce livre, et c’est ce qui le rend
précieux, risquent de l’être par les grands prêtres du wokisme (qui, lui non plus, n’existe pas, rappelons-le).
Le ton de
l’entretien, mais surtout le nombre d’exemples lumineux tirés de son
expérience, écartent les propos de Mesguich de l’abstraction pédante.
Car il faut bien parler du néant, du blanc, de l’inexistant, du silence
! De même que pour le poète, le blanc de la page est une écriture, de
même que le musicien « sculpte les blancs », l’acteur fait « dégorger »
le blanc entre le point final d’une phrase et la majuscule de la
suivante. Cela ne vous parle pas ? Alors, imaginez… À l’école, pour
parler d’Andromaque, votre
professeur lisait un livre, où étaient consignées les répliques de
chaque personnage. Or, durant ces répliques, les autres acteurs sont
présents sur scène, silencieux. Et « leur silence parle » : c’est le
blanc sur lequel s’inscrit la réplique de leur interlocuteur. Ce
silence loquace est tout l’art du comédien. Alors que les mots de
Pyrrhus sont les mêmes depuis Racine, les « phrases-fœtus » d’Hermione,
qui « bouillonnent dans cette sorte de matrice blanche » qu’est sa «
tirade indicible », changent selon les époques, les lieux, les metteurs
en scènes, les acteurs, les spectateurs…
Nous sommes tout
à coup dans un cours de théâtre. Si le silence est à ce point éloquent,
c’est parce que certaines phrases sont directement adressées par
l’acteur en charge de la réplique à son interlocuteur muet («
attention, tu vas tomber »), quand d’autres ne sont adressées qu’à
lui-même (« Vivre m’est désormais insupportable »). Entre ces deux
extrêmes, toutes les nuances sont possibles. C’est donc le texte qui
fait aussi parler le silence. « Ce n’est que par les paroles qu’on a
quelque chance d’entendre ce qui se tait… Voilà peut-être pourquoi le
théâtre est bavard. » Et tout soudain devient clair.
Si la réalité
perd de sa substance, l’acteur, le metteur en scène, mais aussi le
spectateur sont perpétuellement en train de créer une autre réalité,
une fiction (le mot, en son sens le plus fort et le plus noble, ne peut
que parler à un romancier de la Nouvelle Fiction) qui, sous un masque
apparemment mensonger, indique (pointe de l’index) plus sûrement « de
la vérité » que son dévoilement prétendument direct. La vérité du sujet
est dans la langue, qui est passage, et ne se trouve pas dans le
contenu : « la langue, rouge comme une mer, s’ouvre pour laisser
passer. Alors qu’un philosophe […] croit, lui, que c’est dans ce qui
est écrit. » Ici encore, l’exemple de l’enfant et de son doudou
concrétise la réflexion menacée d’abstraction. Mais l’épaisseur
historique d’une pièce permet aussi de figurer ce jeu étrange du
mensonge et de la vérité. Dans une pièce de Shakespeare, on peut
trouver une femme travestie en homme. Mais n’oublions pas que, les
femmes étant interdites sur scène, c’est un homme travesti en femme qui
joue le rôle. Un homme travesti en femme qui se travestit en homme… Que
ressent le comédien ? Que voit le spectateur ? Ce qu’ils recomposent en
eux en fonction des conventions de leur époque. En s’obligeant à
retrouver en eux la femme du rôle entre les deux hommes de l’acteur et
de l’action. « Au théâtre, rien n’existe dont on puisse dire : c’est
ça. Tout peut se retourner à tout instant. »
Ceci n’est qu’un
des nombreux sujets abordés par ce dialogue. Tous sont aussi
captivants, réfléchis, invitant le lecteur à réagir ou partager la
réflexion. On parle aussi de la traduction, du sens, de la poésie, de
l’inculture des jeunes acteurs, de la voix, de l’écriture, de l’espace
théâtral qui se crée par la présence de l’acteur, des différence
culturelles de la perception (entrer par le côté cour ou côté jardin,
par le lointain ou l’avant-scène, n’a pas le même sens dans les
cultures qui écrivent de droite à gauche !)… On sourira aux paradoxes
créés par les mots — au théâtre, le ciel est au fond (de la scène) et
non au-dessus (des acteurs). On remettra en question le culte si
partagé de la concentration — elle vise un but connu d’avance et donc
sans intérêt, alors que la distraction n’a aucun but perceptible et
traduit le singulier, l’irremplaçable, la présence de l’acteur. On
s’interrogera sur notre rôle de spectateur, un « chercheur, dans sa
solitude et la nuit de la salle, capable toujours des plus grandes
audaces intérieures, des plus fabuleux voyages ». Si l’histoire
personnelle fait partie de ces dialogues, elle est toujours
significative. Déambuler avec Rimbaud dans les rues de Marseille
bouleverse le rapport à la langue. Un professeur de français nous fait
comprendre à travers Lamartine que ce qui n’est pas dit parle plus fort
que ce qui est dit : « Quand je sortais tout seul et qu’elle (la
levrette) demeurait » souligne implicitement le fait que, le plus
souvent, la petite chienne sort avec l’auteur… Chaque page fourmille de
ces détails qui nous invitent à prolonger en nous la lecture.
S’il fallait
mettre un léger bémol à la clé de ce superbe dialogue, ce serait dans
l’effort, parfois laborieux, de traduire dans l’écriture l’oralité de
la conversation. Certains procédés sont empruntés à la langue orale :
les rimes, les apostrophes (« Mon cher Philippe »), les interjections
(« Ah ? — Oh ! »), les incises (« [rires] »), les tics de langage («
mais mais mais »)… D’autres sont spécifiques à la langue écrite : usage
des italiques, profusion des guillemets, décomposition des mots («
dis-trait »), jeux de lettres (« otoanalyser »)… Cela traduit sans
doute les indicibles de l’entretien, mimiques, accents d’intensité,
émotions, mais l’abus est artificiel, d’autant qu’on a l’impression que
Mesguich « parle écrit » quand Bouret « parle oral ». Impression
d’autant plus troublante que les apostrophes (« mon cher Philippe »)
sont presque toujours le fait du premier, dont le discours a contario
est légitimement personnel et que Philippe Bouret, qui ne se permet
jamais un « mon cher Daniel », s’adresse directement à son
interlocuteur ! On s’amuse de ces trompe-l’œil, qui renvoient aux
théories sur le « discours indirect » du théâtre. On s’en agace à
d’autre moments, lorsqu’il s’agit d’un jeu quelque peu cabotin : « nous
sommes tout autant dans la “pensée” (Quand je dis “pensée”, mettez,
Philippe, de bons gros guillemets autour du mot) ». C’est surtout
l’abus de ces procédés qui finit par perturber la lecture. À moins
qu’il s’agisse d’une volonté de déconcentrer le lecteur et de lui
donner l’occasion de prolonger dans le singulier la lecture ? Il faut
s’attendre à tout au théâtre, y compris à ce qu’un philosophe joue à
l’acteur qui joue au philosophe…
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Voir aussi : Cet enfant sans mot qui te commence, Encres lacérées,
Lignes de fond.
Annie Dana, Le deuil du chagrin, Rougier, images Vincent Rougier, 2023.
Le poète est
sensible aux traces infimes de l’invisible, aux rumeurs inaudibles — «
Les silences disent plus que les mots / Quand les brèches frémissent /
Chuchotent / Balbutient ». Comme les grandes douleurs, les fractures de
la vie sont muettes, mais celui qui y prête attention les perçoit.
C’est aussi cela, le deuil, ce « deuil du chagrin » qui donne son titre
à ce recueil. Ce sont les traces imperceptibles qui nous frappent
d’abord dans ces pages : les fantômes qui peuplent nos mémoires, le
désert de l’absence, les pleurs que l’on n’a pas versés, la tache
inexistante, les phrases renoncées… Quelque chose cherche à s’exprimer,
trop longtemps refoulé, qui empêche le deuil.
Mais très vite,
une autre thématique traverse les poèmes, plus accusatrice, comme un
remords s’ajoutant au regret. Un fantôme « dénonce notre mensonge »,
une prétendue victime nous accuse, « C’est bien vous qui avez perpétré
ce méfait », des « juges » se dressent, demandant justice « pour des
blessures infligées aux autres », exigeant des aveux — « avouer »
revient comme un leitmotiv. Et les mots se font plus dur — duel,
ensanglanté, traître, déchirure…
Il faut se
laisser guider par les mots, qui ruissellent comme la pluie sur les
ardoises, accepter les reproches comme les espoirs, il faut « crier
l’exil » pour apprendre à « balbutier l’amour ». Alors une thématique
plus apaisée pourra se glisser dans les poèmes, « si tu veux tenter la
chance de vivre », qu’il faut peut-être rapprocher de « la chance de ta
blessure / Enfin désenchantée ». Comme la plante naît de la fissure du
mur, l’enfant de celle de la femme, « les ressources du désert »
peuvent nous laisser interdits… « Ne capitule pas sans te battre /
Attends la paix qui doit venir » : les derniers poèmes nous parlent peu
à peu de pardon — « on se prend à aimer ceux qui nous ont trahi » — de
résignation — « Pour accepter la vie comme un fleuve ». Et cet
apaisement est un retour au néant, néant de la douleur, bien sûr :
Aujourd’hui il ne reste rien
Ni des mensonges
Ni du regret
Ni de la trahison
Juste de la poussière d’étoiles
mais comment oublier que c’est de ce « rien », silence, absence,
inexistence, que le recueil est parti ? Cette « poussière d’étoiles »
qui le conclut n’est-elle pas un écho à cette clairvoyance qui, dans le
premier poème, permet d’« entrevoir dans l’invisible l’élégance du
monde » ?
Voir aussi : La signature du temps. Pépins de Cupidon.
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Jacques Richard, La course, On-lit, 2022.
«
Chacun de nous est un puits où, tout au fond, quelque chose attend,
appelle dans le noir. Personne n’ose s’y pencher. » Jacques Richard, de
roman en roman, explore les zones obscures de l’âme humaine et les
divergences entre l’être profond et l’être social. Ce roman est celui
de ce malentendu, pire que la solitude. Aux deux bouts de la course,
deux sœurs, Hélène et Madeleine, Léna et Magda — qui réussissent à
rimer dans la version complète ou abrégée de leur prénom, mais qui ne
se voient pas. Entre les deux, un adolescent, qui court de l’une à
l’autre. Chez sa tante, Hélène, il vient chercher une étreinte rapide ;
à sa mère, il rapporte un peu d’argent. Deux buts qui n’ont rien en
commun, bien sûr, et pourtant, l’idée pointe dans l’esprit de Léna — «
Il courait comme s’il devait mériter de venir ici. Me mériter. Me
gagner. Gagner ce que je donnais à sa mère. » De part et d’autre, il
apprend à être un homme. En faisant l’amour à une femme ; en rapportant
l’argent du ménage.
Magda
est la mère, mais bien au-delà de sa maternité. Elle est l’archétype de
la mère : elle l’a aussi été de sa sœur, plus jeune qu’elle, et finit
par incarner la mère qui aurait voulu rester femme, comme Hélène est la
femme qui ne parvient pas à être mère. L’une a un enfant mais pas
d’homme, l’autre un mari mais pas d’enfant. Elles se regardent comme
dans un miroir aux reflets inversés. Ce sont les deux visages de la
femme, deux pôles entre lesquels l’adolescent court, comme s’il pouvait
les réunir. Bien sûr, leur réunion, lorsque la vérité se dévoile, sera
orageuse…
La
course donne son titre au roman. C’est le rôle du garçon, sans doute,
entre sa mère et sa tante, toutes deux immobiles dans leur solitude.
Mais au-delà, c’est une façon de vivre, sinon une mentalité, celle de
l’adolescent découvrant la vie : « Tu cours, tu cours. Après tout ce
qui passe. Tu suis le dernier qui a parlé comme un chien sans lieu,
sans lien. » C’est aussi la trépidation du monde moderne, qui effraie
tant la mère. « Tout bouge. Tout a bougé. Rien ne tient en place. Les
bagnoles. Sa belle maison d’antan. Disparue, la villa. » La course est
devenue une malédiction, synonyme de misère pour celle qui désormais «
court après les sous ». Mais n’est-ce pas le sort commun à tous les
hommes ? « Tout le monde court, Magda. C’est normal de courir. Après
les sous, après ce que tu veux, mais on court. » Et cela vaut peut-être
mieux que l’immobilité, car celles qui ne courent plus attendent sans
espoir. « Le monde est une gare où attendent les passagers d’un train
qui ne vient pas. » La course est le fil conducteur du roman, dans tous
les sens du terme (car le garçon qui court chercher une enveloppe chez
sa tante fait ses courses…) et dans toutes les expressions consacrées
(courir après les sous, courir les filles…). Calvaire pour les uns,
extase pour les autres — « Quand je cours, j’oublie que je suis là. Je
me quitte. » La course devient son propre but. Et cela vaut mieux. Car
le jeune homme, comme sa tante, se pose des questions sur leur relation
hors norme. Il se rend compte que sa course est narcissique, qu’il ne
voit dans la femme — « ce trou qu’il appelle une femme » — que le
plaisir qu’il peut y trouver. Il sait qu’il ne va chez sa tante que «
pour ça », que l’argent qu’il rapporte n’est qu’un prétexte. « Car le
voilà, le bout de sa course. À chaque pas, dans chaque caresse, dans
chaque baiser. Lui. Lui le chemin. Lui la destination. »
Cette
prise de conscience est dans la tradition du roman d’initiation. Le
garçon des premières pages traîne encore les angoisses de l’enfance,
l’impression que tout le monde, sur son chemin, le perce à jour et le
juge (« ils contemplent ma honte »), la superstition du geste maladroit
(« un geste abolirait tout »), le retrait intérieur comme refuge contre
le conflit… Tout l’art de Jacques Richard est de traduire cette
évolution dans une langue précise, rigoureuse, qui a recours à toute la
palette de la subtilité grammaticale. Le protagoniste principal, le
jeune garçon, peut parler aux trois personnes du singulier, et parfois
dans la même phrase : « me lécher en dessous, au-dessus (et il sent le
rugueux des papilles de la femme contre les siennes) ». Cela introduit
un léger décalage entre les perceptions, une mise en perspective du
souvenir par le narrateur. Le même entre-deux réunit le monde qu’il
raconte et l’écriture, par un usage subtil des signes de ponctuation.
Les guillemets : « Y a pas “ça”. Y a pas “ce que tu sais” ! C’est quoi,
“ce que tu sais” ? Y a pas de “vérité-là”, y a pas de “z-yeux fermés”.
Ils marchent pieds nus sur des guillemets. » Les parenthèses, qui
permettent d’isoler le protagoniste du monde qui l’entoure, en
particulier lors d’une remontrance maternelle : « Lui, dans ces cas-là,
il se met entre parenthèses ». Et de fait, un peu plus loin, une incise
concrétise cette image : « (Lui entre parenthèses) ». Mais l’image
rebondit dans un autre passage, où les parenthèses sont comparées à un
deux-pièces.
On
peut sourire ou s’agacer de ces recherches, qui imposent une
distanciation au lecteur, elles m’ont pour ma part impressionné, car
elles entrent dans une même conception de l’écriture, exigeante et
diversifiée. Ainsi, le vocabulaire le plus cru (lors d’une expérience
homosexuelle : « Celui-là, après, il veut l’enculer, allez quoi, mais
il s’y prend n’importe comment ») n’empêche pas un foisonnement
d’images originales, parfois à la limite de la préciosité, comme dans
l’évocation des hosties, « ces rondelles de farine complète enrubannées
de latin », mais dans un art de la formule efficace. Chacun en dressera
son florilège, le mien comprendra, entre bien d’autres : « La grand-rue
montre des tristesses de chaussette ravaudée », « le vrac jamais trié
de la vie », « le sourire d’une qui fait semblant de comprendre le
flamand chez le boucher », « on entre sans invitation dans la vie
privée du visage »… Sur le fil ténu d’une intrigue très mince (et
particulièrement délicate dans la littérature bien peignée de notre
époque), Jacques Richard déploie toutes les richesses de la langue.
Voir aussi : Scènes d’amour et autres cruautés, Le carré des Allemands, L'homme peut-être et autres illusions.
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Martine Roffinella, Les cloîtrés d’Aurillac, Héliopoles, 2022.
En 1983, le GIGN
retrouve dans un taudis de Saint-Flour les deux rescapés d’une
incroyable claustration de trente-huit ans. Esther Albuy, tondue à la
Libération, avait été enfermée avec ses deux frères et son père en 1944
— la date, précisément, où Sartre fait jouer Huis-clos,
dont on a surtout retenu que l’enfer, c’étaient les autres… La
situation a de quoi séduire une romancière. Martine Roffinella écrit,
en 1984, un manuscrit qui ne sera publié qu’en 2022, trente-huit ans
plus tard. Les noms sont changés, Blandine Alban est désormais cloîtrée
à Aurillac avec son frère Adrien. On pense qu’ils ont tué leur frère
Ferdinand, dormant depuis deux ans de part et d’autre de son cadavre.
Le roman doit
cerner au mieux la psychologie de personnages qui ont vécu ce qu’on
aurait peine à imaginer. En trente-huit ans, le lien au départ imposé
par la folie du père est devenu une dépendance. « Comme les enfants
siamois nous sommes soudés tous les trois ensemble. Vingt ans que le
père nous a cousus les uns aux autres, et sa mort ne rompt pas le fil
serré dru entre nos chairs captives. » Les rapports fraternels se sont
exacerbés, mêlant amour et haine, désir et répulsion, en un magma si
compact qu’il devient impossible de les distinguer. Le coup de génie,
dans cette ambiance abjecte où la crasse, les détritus, la pourriture, la
décomposition semblent incompatibles avec l’expression du désir, est
d’avoir accentué la sensualité des relations, directes (les rapports
incestueux entre les deux frères) ou lointaines (le souvenir très
physique de Ludwig dans la mémoire de Blandine). On est dans la
fascination morbide du — quasi contemporain — Saló de Pasolini.
L’autre astuce
romanesque consiste dans la confrontation des deux rescapés criminels
avec un psychiatre qui ne peut se résoudre à bâcler l’enquête comme
l’exigent les médias. Il se sent lui-même manipulé par eux. Adrien
amalgame avec adresse vérité et mensonge — « une chance sur deux pour
la vérité », dit-il au praticien. Et celui-ci entre à demi consciemment
dans leur jeu. Car la véritable claustration n’est pas celle qu’ils ont
subie. C’est celle des âmes — « Ils sont hermétiques. Fermés sur
eux-mêmes » — à tel point que la prison ou l’hôpital psychiatrique qui
les attend ne les effraie pas après trente-huit ans de réclusion : « Je
ne m’enfuirai pas. J’aime bien les maisons, celles qui ont des volets
clos ». Et le psychologue, à son tour, est contaminé : « Ce soir, je me
sens captif. Pris au piège d’une société dont je suis pourtant un
membre influent. »
Mais quel est le
moteur de cet enfermement volontaire, de cet amour-haine entre les
trois frères ? Comme dans la définition socratique de l’amour, c’est le
manque qui soude les esprits. Manque du corps, que l’on peut comprendre
pour Blandine séparée de Ludwig auprès duquel elle a connu le bonheur :
« tout mon corps te réclame ». Mais aussi pour Adrien après
l’assassinat de son frère, malgré les sévices qu’il lui a fait subir :
« son grand corps animal me manque ». Et le psychiatre à son tour se
prend à penser : « Ferdinand – l’absent, le mort, le desséché – me
manque ». Tout tourne autour de cette force impérieuse qui, sans doute,
explique une claustration trop longue pour n’avoir pas été en partie
volontaire. « Mais chaque fois que je commence à imaginer un plan pour
mon évasion, tu me manques déjà. » Il y a du mystère de l’attraction
universelle dans ce triangle d’amour, de haine et de désir.
Alors, comment
le lecteur n’éprouverait-il pas lui-même cette attraction morbide qui a
contaminé le juge — mais aussi le processus romanesque lui-même,
puisque, tel le trio d’Aurillac, « Ce roman vécut trente-huit ans de
claustration entre 1984 et 2022 » ?
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Voir aussi
: Recherche de fuites, État d'un lieu désert, L'Impersonne, Camisole-moi, J.-C. et moi, Kilogramme zéro, Inconvenances. Merveille au Mans, Les hommes grillagés. Lesbian cougar story. Pour une absente. Conservez comme vous aimez.
Ninon Sagace, Le cri de la morue, Hors chemin, 2022.
Miss Swindler a
tout du monstre : obèse, difforme, malodorante, la tête de Jean-Paul
Sartre sur un corps de bibendum, mais sans l’intelligence ni la culture
que sa mère induit de cette ressemblance (« les écrivains sont tous
laids », sans doute était-ce vrai avant que la promotion télévisuelle
ne change la donne). Incapable d’exercer le moindre métier, échouant à
tous les concours, renvoyée de toutes ses places, elle décide
d’exploiter son principal atout : un sexe à démesuré qui affole tous
les hommes, par son volume (un gros hérisson) que par sa profondeur
(une bouche d’égout).
Le roman
érotique parodique bouscule tous les codes, c’est ce qui fait son
charme. À commencer par celui de la masculinité. Depuis Gargantua, la
sympathie du lecteur va aux bons géants dotés d’un appétit
inextinguible ; Sade et toute la littérature érotique nous ont
familiarisé avec les membres chevalins qui feraient rêver les femmes ;
le cinéma n’imagine la séductrice que sous les traits d’une nymphe
pulpeuse à la taille de guêpe. Une femme répugnante munie d’un sexe
colossal et séduisante malgré sa laideur, sa pauvreté et sa stupidité
bouscule nos préjugés : en cela, cette saine satire a un côté
revendicatif, sinon féministe, rafraîchissant. Le désarroi des hommes
rêvant de coincer dans cette bouche d’égout leur « cure-dent » (une
crevette pour les mieux membrés) est jubilatoire. La technique de
séduction, dite « du panda », est une étourdissante caricature des
déclarations enflammées : un bavardage creux dont les hommes ne peuvent
échapper que par l’abdication, comme les victimes de don Juan.
L’égoïsme du plaisir solitaire est retourné par la manière abrupte dont
miss Swindler exige et obtient sa jouissance.
Jouant sur les
multiples sens de son surnom, miss Swindler, églefin et morue,
aigrefin et escroc, va mettre à sac son village et tout Montmartre
avant de se rabattre sur le narrateur tétanisé. Le roman est
jubilatoire, écrit d’une plume experte qui allie une langue et une
rhétorique classique avec un vocabulaire à faire rougir le divin
marquis.
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