Gilles Verdet, Nom de noms, L’arbre vengeur, 2021.
« Les hasards de
l’anthroponymie sont impénétrables. Souvent cocasses et quelquefois
farceurs. » Nous nous sommes tous amusés avec les noms propres, réels
ou fictifs, appropriés à leurs détenteurs ou contrastant avec leur
personnalité… Qu’un comédien s’appelle Durideau fait sourire. C’est un
« aptonyme, comme on dit dans les revues ». En général, on ne va pas
plus loin, sinon à s’étonner de la cruauté de certains parents, d’un
Lange qui a prénommé son fils Michel — j’avais un voisin Detaille que
son père avait cru spirituel d’appeler Pierre.
Mais les
histoires de noms imaginées par Gilles Verdet vont bien plus loin que
ces amusements. Le nom détermine la première impression que l’on a d’un
individu. Il se voit comme le nez au milieu du visage… Ce n’est donc
pas un hasard si l’argot utilise le même terme, « blase », pour
désigner le nez et le nom.
Et ce n’est pas un hasard si le roman s’ouvre sur la rencontre de M.
Rien, qui veut changer de patronyme, et de Mme Personne, qui a fait
remodeler son nez. Avec autant de compassion que d’humour, ces
nouvelles mettent en scène l’influence des noms sur la personnalité de
ceux qui les portent, les difficultés qu’ils rencontrent dans la vie
(peut-on faire confiance à un vendeur qui s’appelle Rien ?), les jeux
de mots qu’ils subissent (« Personne en saura rien », s’entend-il
répondre quand il demande les coordonnées de Mme Personne)… Y a-t-il un
destin des noms ? Gérard Souffleur est bien devenu souffleur au
théâtre, mais se demande s’il ne devrait pas devenir maraîcher,
lorsqu’il découvre que son grand-père avait fait modifier son nom de…
Choufleur.
Bien sûr, on
s’amusera des jeux de mots et des clins d’œil que multiplie l’auteur à
l’envi. Monsieur Rien est « parti de rien », mais dès qu’il est devenu
Monsieur Bien, « tout va bien ». On sourira des prénoms qui prolongent
le supplice des protagonistes — Claire Matin, Fleur Jardin, les sœurs
Aimée et Désirée Personne… Certains se révoltent, d’autres acceptent
leur destin farfelu avec résignation ou humour. Certains en jouent
malicieusement. Cela crée des situations inattendues, lorsque les
personnages se rencontrent. « C’est le télescopage qui crée les
histoires de chacun », confie l’auteur, « les croisements impromptus
qui engendrent les destins et les rencontres improbables qui les
modifient ». M. Lange ne pouvait prendre pour maîtresse qu’une Mme
Lediable, et M. Rien, les deux sœurs Personne…
Mais le roman est bien plus qu’amusant. Il est jubilatoire. Cela tient d’abord à la structure romanesque. Les histoires s’embrouillent, s’entremêlent à loisir. Pour payer un maître
chanteur, Aimée et Désirée Personne font casquer Fleur Jardin, qui
rackette Claire Matin, qui s’en prend à Gérard Souffleur… Les nouvelles
se répondent, rebondissent, se bousculent, se nouent et se renouent
dans un étourdissant chassé-croisé. Qui finit, d’ailleurs, par percuter
le précédent roman de Gilles Verdet. Le lecteur est entraîné dans un
hallucinant « roman de nouvelles » qui s’achève sur une double
pirouette et boucle sa trajectoire d’un mot qui dit tout… et ne dit
rien. Ne gâchons pas le plaisir du lecteur. Car il y a plaisir à se
perdre dans un labyrinthe narratif magistralement élaboré. On connaît Gilles Verdet pour sa parfaite technique narrative, qui lui permet d’embrouiller à plaisir les situations dramatiques avant de les démêler d’un coup de baguette magique. Ici, il se surpasse !
Au-delà de cette
structure virtuose, on trouvera aussi, au gré des situations, des
réflexions plus ou moins amères sur le conformisme et la dictature des
normes, sur le sort des migrants, sur la réalité et la fiction… Le roman est loin d’être une coquille vide : la structure est au service d’une réflexion juste sans jamais être pesante ; l’écriture y est soignée et malicieuse. On y
découvrira une somptueuse parodie de la scène du balcon, dans Cyrano de Bergerac,
qui enseignera le fou rire aux plus grincheux. On s’amusera en passant
de raccourcis vigoureux — « C’est dégueulasse comme l’âme humaine » —
ou de jeux de langage peut-être gratuits, mais qui reflètent l’état
mental du personnage — « J’ai quitté le grand Centre du moyen commerce
à petits pas contents. Descendu les étages de galeries avec le cœur
montant du travail bien fait. » Et l’on jouira du troublant plaisir de
noyer le diable dans le Léthé… À découvrir de toute urgence.
Voir aussi
: La sieste des hippocampes, Voici le temps des assassins, Fausses routes, Les Ardomphes.
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Yves Namur, Dis-moi quelque chose, Arfuyen, 2021.
Les mots que
l’on attend sont souvent plus urgents que ceux que l’on dit. Ces cent
quinze textes sont autant de « prières adressées à l’inconnu, au
lecteur éventuel et probablement à moi-même », confie Yves Namur. La
similitude des premiers vers, « Dis-moi quelque chose », ainsi que la
structure métrique récurrente (des sixains de deux, trois et un vers),
la répartition en quatre saisons (qui commencent à l’automne et
finissent à l’été) en font une longue litanie conjuratoire, qui invite
à dresser la parole contre la morosité, la laideur ou la violence du
monde.
La construction
de ces sixains, quoique identique, reste souple. Il s’y dessine des
mouvements parfois opposés, de l’abattement au sursaut ou de
l’exaltation au découragement, dans une lecture verticale qui pose un
thème en deux vers, lui donne sa résonance en trois vers, le conclut ou
le contredit en un vers.
Parfois, les
mots les plus forts, les plus chargés d’énergie, se retrouvent dans les
deux premiers vers, comme au sommet de la construction poétique. On
remonte du puits, on entrevoit l’insoupçonné, on ouvre, on réveille, on
espère… Ce sont d’ailleurs les vers de l’obstination (par la répétition
du même incipit) et de la confiance en l’autre (par la deuxième
personne du singulier) : « Dis-moi quelque chose »… Le poème se
construit alors dans une sorte d’amertume, le vers final, isolé,
évoquant les profondeurs, la chute, la vie insoutenable. Mais à
d’autres moments, ce sont des mots durs qui ouvrent le sixain :
l’abîme, les ruines, l’ignorance… et le poème adopte alors le mouvement
inverse d’une remontée vers la lumière, la vie, l’envie. Qu’importe
d’ailleurs le sens que l’on donne à la lecture ? L’essentiel est le
mouvement que la phrase imprime en nous. L’essentiel est de « rallumer
les lampes pauvres », « d’attiser un grand feu », de faire danser la
vie avec la folie, autour du feu…
Certains de ces
textes laissent une impression de profonde amertume, sinon de détresse
; d’autres nous parlent d’amour, de germination, de soif de vivre. Et
d’autres (sont-ils les plus nombreux ou les plus marquants ?) m’ont
parlé de la sérénité des retours de longs voyages, du nécessaire
effacement de ce qui fut vécu, de ce qu’il faut « ignorer une fois pour
toutes », lorsqu’il est plus sage de « ne rien savoir ou presque », et,
peut-être, d’effacer demain. Mélancolie ? Peut-être, mais celle de
l’apaisement final lorsque l’on a trop regardé, trop entendu, et que
l’on s’aperçoit qu’il y a « trop de tout en fin de compte ».
Cette lecture,
ou ce voyage intérieur, en dit sans doute plus sur moi que sur Yves
Namur, mais n’est-ce pas cela, après tout, la poésie ?
« Dis-moi quelque chose
Comme un grand besoin de larmes
Quand la mer se retire
Quand les forêts se dépeuplent
Quand nos certitudes n’ont plus d’ailes
Ni rien à espérer »
Voir aussi
: La tristesse du figuier.
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Hubert Haddad, La Sirène d’Isé, Zulma, 2021.
Certains romans
sont centrés sur des lieux plus encore que sur des personnages. Le
hasard des parutions fait paraître au même moment un roman de Georges-Olivier Châteaureynaud
et un roman d’Hubert Haddad qui m’évoquent la même remarque. Un lieu à
l’abandon, vestige d’une gloire passée, aux confins du monde, et de
nature labyrinthique. Le rapprochement s’arrête là. Les deux
romanciers, qui ont tous deux participé à la Nouvelle Fiction, ont leur
ton et leur écriture propres, immédiatement reconnaissables. Le
labyrinthe d’Hubert Haddad est végétal, élevé sur la pointe sud de la
baie d’Umwelt, à l’arrière d’un « drôle de château face au vide ». Le
bâtiment, un sanatorium du XIXe siècle, se double ainsi d’une «
forteresse arbustive », plantée comme « un défi d’espèce sauvage » dans
un fortin de pierre conquis sur la lande.
Le terme Umwelt,
emprunté au comportementalisme, renvoie à la perception de
l’environnement que chacun, animaux ou humains, peut avoir de son
environnement selon les sens qu’il possède. Et c’est bien de cela qu’il
s’agit dans cet étrange « création dédalique » conçue par le médecin du
sanatorium selon des règles de géométrie fractale : le labyrinthe
fonctionne comme un dispositif d’analyse comportementale qui peut
provoquer un « collapsus émotionnel » lorsqu’on y interroge ses propres
égarements. Il met celui qui s’y aventure en situation de proie, comme
s’il était piégé dans une toile d’araignée non gluante. L’angoisse
qu’il suscite, liée « à l’épouvante de la dévoration mandibulaire »,
déclencherait alors une sorte de violence évacuatrice supposée
thérapeutique… à condition qu’il puisse en ressortir.
Car ce lieu
improbable répond également à une conception musicale, comme une
matérialisation du « cercle des quintes », une projection de l’accord
de septième diminuée… Une partition a servi de plan, et l’on n’en
trouve la sortie qu’en déchiffrant les accords de la basse continue
représentés par les haies. Son gardien est un jeune jardinier sourd,
Malgorne, fils de Leeloo, une jeune femme internée d’une beauté folle
que le médecin avait décidé de garder pour lui. Et c’est là que l’Umwelt
prend toute sa signification. Seul un jeune homme sourd peut échapper
au piège du labyrinthe musical, comme Ulysse, après s’être bouché les
oreilles, échappe au chant des sirènes. Sa perception du labyrinthe
passe par d’autres sens, qui lui permettent, notamment, de le retrouver
dans la configuration du ciel déchiré par un éclair.
Mais les pièges
ne s’arrêtent pas là. Dans ce pays échoué au bord des flots, les
sirènes ont d’autres apparences. Peirdre, la jeune fille du phare, et
son amie Miranela, n’en sont-elles pas une réincarnation symbolique ?
Précisément, Peirdre et Malgorne se rencontrent devant le corps d’un
animal étrange échoué sur la plage, un monstre que l’on identifie à une
« rhytine », croisement de sirène et de cachalot… Et à l’horizon passe
lentement le cargo énigmatique, dont la… sirène est déclenchée par le
capitaine Owen, père de Peirdre. Toutes ces thématiques se tissent
entre elles autour d’un fil rouge, la perte et la rédemption. « Une
fille peut-elle sauver son père du mauvais esprit de l’océan ? » Sans
doute comme on sort du labyrinthe… Mais peut-être, aussi,
n’arrivera-t-elle qu’à se perdre avec lui.
Ces lieux et ces
personnages véhiculent en effet le même sentiment de défaite,
d’abandon, de lassitude. Le domaine sinistré, la route côtière menacée
d’effondrement, le monstre échoué, le capitaine atteint d’une « forme
de mélancolie butée », Malgorne lui-même qui sent que « quelque chose
de vital lui échappe, comme le sang des veines »… Tout cela concourt à
créer cette atmosphère morose, mais habitée du même espoir ténu. Celui
de perpétuer un monde oublié aux valeurs désuètes, mais qui ne veut pas
se laisser pas abattre. « On enfermerait aujourd’hui tous les génies de
l’air et du feu, les héros et les dieux, la nature entière ! »
Cette envoûtante
et tragique histoire d’amour inabouti est servie par la langue
somptueuse d’Hubert Haddad, aux métaphores parlantes, surtout lorsqu’il
s’agit de traduire les mille nuances de la douleur : « On s’est penché
sur elle avec des sourires en ciseaux » — « l’homme à la bonté déchirée
» — « il y bredouille une langue de silence » — « la lumière soudain
est comme une main tranchée »…
Voir aussi
: Le camp du bandit
mauresque, Petite suite cherbourgeoise, La culture
de l'hystérie n'est pas une spécialité horticole, Le
nouveau nouveau magasin d’écriture,
Oholiba des songes, Palestine,
Géométrie
d'un rêve, Vent printanier, Opium Poppy, Sonetti di dolore, Le peintre d'éventail, Premières neiges sur Pondichéry, Mâ, Casting sauvage. Un monstre et un chaos.
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Muriel Augry, Encres lacérées, encres de Philippe Bouret, Iasi, Cronedit, 2020
« Elles étaient
» / « Elles seront » : deux volets d’un seul diptyque, à la fois
poétique et visuel. Mais quand la poésie se voit, quand les encres
parlent, la distinction entre les deux arts n’a plus de raison d’être.
Ce sont des images qui nous sautent au visage dans les mots de Muriel
Augry. Des guerrières en armure, lance au poing, taillant les jours, à
califourchon, à l’assaut des désirs vrombissants. Y répondent des
compositions abstraites de Philippes Bouret, discrètement sous-titrées
« efemmérides » ou « éfemméros »… Des emboitages de formes, d’aspect
métallique, aux griffes pointues, acérées, empreints d’une énergie
conquérante. Éphémérides ? Oui, si les encres font écho aux « éphémères
victoires » de Muriel Augry. Mais femmes, surtout, dans un
entrelacement à la fois sensuel et menaçant de tentacules
télescopiques. Les encres composent un écho lointain aux textes. Le
lecteur y verra, s’il le souhaite, les « chevilles gantées dans des
goussets de plomb », des « plumes acérées », le « jour taillé » ou «
l’audace au poing » transperçant le bouclier de l’Académie et de la
Maison de la Poésie… Mais il pourra aussi, s’il le préfère, projeter
sur les textes les suggestions des encres, « l’éfemméride à la méduse »
nuancera alors le carcan de l’identité, « l’éfemméride au double »
donnera un autre sens aux parchemins portés dans le dos. Telle est la
magie de ce mariage des encres.
Le second volet
— « Elles seront » — renonce aux termes violents, aux suggestions
guerrières, et recourt à un vocabulaire plus sensuel, l’éventail des
passions posé au creux des reins, la flûte aux lèvres, l’archet à la
main.
Femmes de chair embrasées
Elles iront
tandis que les encres, sans renoncer aux jaillissements télescopiques
ni aux fils barbelés, y mêlent des courbes plus douces, seins et
fesses ; les éfemméros succèdent alors aux éfemmérides pour se
conclure dans une « extase » au sexe grand offert à la page. Appel à la
complicité du lecteur, ce petit livre suscitera sans doute bien
d’autres lectures, mais il ne pourra laisser indifférent.
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Voir aussi
: Philippe Bouret, Cet enfant sans mot qui te commence, Ligne de fond.
Werner Lambersy, L’Agendada, Saison 3 : Amours, montage et illustrations Yves Barré, ficelle n° 144, janvier 2021.
Voici trois ans
que Werner Lambersy publie, pour la nouvelle année, un « agendada
» thématique. Le premier était consacré aux dogmes, le deuxième aux
arts. Celui-ci s’intitule « Amours », au pluriel, mais en parle
volontiers au singulier. « Je n’ai pas pu mettre de mot sur l’amour,
juste de l’amour sur les mots. » On l’aura compris : le principe de ces
aphorismes n’est pas d’aligner des sentences définitives, mais au
contraire d’éveiller par un clin d’œil malicieux la réflexion,
l’échappée poétique, l’humour. On n’est pas loin, dans cet exercice,
des poèmes brefs dont est familier l’auteur, haïkus écrits au pied du
vent, sur une écaille de carpe ou à l’ombre du bonsaï. Ils ont en
commun, outre la brièveté, l’étincelle du regard (sur une annonce de
pharmacien), le petit geste (dégrafer un corsage), la fulgurance
poétique (« La nuit remonte aux cuisses / le nylon de l’horizon »).
Mais les
aphorismes laissent plus de place à l’humour, aux jeux de mots (sacré
cœur de Montmartre et sacré cul de Pigalle), aux formules percutantes
(« je filme sans pellicule », dit le vieux soupirant), aux images
flamboyantes (« Érection matinale, ou le lancer des couleurs sur un
bateau pirate »). L’humour cependant reste dans les mots et souvent le
ton est grave, mélancolique ou amer, en particulier lorsque la
brutalité masculine s’en prend aux « profondeurs féminines », car « Il
faut bien l’admettre : le pénis manque singulièrement d’humour ».
Alors, même si ces aphorismes se veulent sans prétention, on les
dégustera avec la gourmandise d’une complicité de gamins devant la
boîte de chocolats. Car ils invitent à réinventer en permanence ce qui
ne se conçoit que dans la fulgurance de l’instant, l’amour, la poésie,
la beauté. « “Je t’aime” devrait rester un néologisme ».
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Voir aussi
: Parfum d'Apocalypse,
Journal
par-dessus bord, Cupra Marittima, À l'ombre du bonsaï, L'assèchement du Zuiderzee, Le mangeur de nèfles, Déluges et autres péripéties, Dernières nouvelles d'Ulysse, La perte du temps, Escaut ! salut, Ball-trap, La chute de la grande roue. Départs de feux, Bureau des solitudes, La déclaration, Du crépuscule des corbeaux au crépuscule des colombes, Al-Andalus, Achille Island, Au pied du vent. Le Grand poème. Ligne de fond. Le jour du chien qui boîte. Table d'écoute, Les convoyeurs attendent, Dormances, Et plus si affinités, Entrées maritimes.
Georges-Olivier Châteaureynaud, A cause de l’éternité, Grasset
Voilà le roman
qu’attendaient tous les exilés d’Écorcheville, cette ville des bords du
Styx, « face à l’inconnaissable et dans la proximité des prodiges »,
dont Georges-Olivier Châteaureynaud avait établi la chronique dans L’autre rive.
Tous les exilés d’eux-mêmes et de la vie, « superlativement étrangers »
au quotidien, « toujours entre être et non-être, au bord du néant ».
Disons-le d’emblée : le défi difficile des « suites » est parfaitement
relevé et, si les allusions au premier roman enrichissent la
compréhension, sa lecture n’est nullement nécessaire pour goûter
pleinement celui-ci. L’intrigue est simple et linéaire. Alphan, après
ses études dans un pensionnat suisse, revient à Écorcheville pour se
marier. Pris dans un délire de son père, il entre dans un étrange
château dont il n’a plus envie de repartir lorsqu’il apprend la mort de
sa fiancée. Mais le château lui-même est menacé de tomber dans
l’héritage d’un magnat japonais…
On retrouve dans
ce deuxième volet l’atmosphère chère à l’auteur, ni réaliste, ni
fantastique, mais dans un léger décalage dans la perception de la
réalité comme de l’imaginaire. « L’étalon de la réalité n’est pas le
même ici qu’ailleurs », remarque un personnage. Tel est le secret de ce
récit : l’extraordinaire se mêle au quotidien comme s’il s’agissait de
la chose la plus naturelle. On y vit dans la France d’aujourd’hui, avec
des téléphones portables, des associations 1901, et l’on paie en euros
l’obole à Charon. Les personnages ont face aux excentricités de leur
univers les réactions de nos contemporains. Les enfants vont chercher
dans la zone interdite des poussées d’adrénaline, les adolescents sont
fascinés par les revues pornographiques, les adultes sont en quête
d’âmes sœurs et les vieillards, quand ils ont réglé leurs problèmes de
retraite, cherchent à fuir les Ehpad. La mise en scène de ces
personnages outranciers ou farfelus reproduit notre société
occidentale, où le pouvoir se partage entre grandes familles avant que
l’élection d’un candidat populiste ne rebatte (provisoirement) les
cartes. L’ailleurs n’est pas si loin de l’ici.
Et pourtant,
ici, il pleut des insectes ou des crapauds, on repêche des monstres
dans le Styx, on les confine au musée de tératologie ou on les protège
pour éviter qu’ils ne finissent en attractions touristiques. Ici, il
faut se méfier des malfrats, car ils volent… dans les deux sens du
terme. Ici, on a « des semelles de plomb mentales », et l’on envie
vaguement ceux qui, nés ailleurs, vivent dans « une sorte d’ingénuité
confortable ». On rêve de fuir, on fuit, on élève ses enfants dans des
pensionnats suisses pour qu’ils épousent de riches héritières
anglaises, mais rien à faire : ils reviennent. Parce qu’il y a une
collusion secrète entre les hommes et les lieux. La mémoire est « brume
et brumasse, brouillard et brouillasse » ; des nuages passent dans les
regards ; on tombe comme une pierre tout au fond de soi-même…
Peut-être est-ce
par là qu’il faut entrer dans le roman : par les lieux, qui en sont les
vrais personnages. Dans L’autre rive,
le principal protagoniste était Écorcheville, la ville construite au
bord du Styx, sur lequel une société anonyme voulait jeter un pont.
Dans ce roman, c’est le château de Thétis d’Éparvay (un clin d’œil
significatif à la ville des Ormeaux ou de La faculté des songes). Les lieux clos, déserts, isolés, sont familiers aux lecteurs de Châteaureynaud : îles désertes (Au fond du paradis, Mathieu Chain…), villas ou châteaux abandonnés (La Faculté des songes, Les Ormeaux)…
Rassurants comme des refuges contre les vicissitudes de la vie et
inquiétants dans leur abandon ou leur délabrement, comme s’ils
attendaient sans impatience la fin du monde. Écorcheville et le château
d’Éparvay sont des lieux frontières, au bord du monde pour le premier,
au bord du temps pour le second. Ils sont à la fois immuables et
précaires, figés dans des archaïsmes surprenants (l’esclavage est
toujours légal à Écorcheville) et en total déliquescence. La ville
d’Écorcheville ne parvient pas à rejoindre le Styx comme le château
d’Épervay ne parvient pas à entrer dans l’éternité. Et pourtant, ils y
ont déjà posé un pied. L’impression d’abandon est particulièrement
forte dans ce roman. Les personnages ont vieilli, pris leur retraite,
rejoint l’Ehpad, l’aéroport surdimensionné est vide, la Compagnie du
Pont a fait faillite, les villas sont en désordre, les dépôts sont des
dépotoirs, le château un capharnaüm délabré… Dans ce « château de la
Belle au bois mourant », il faut cacher ses spécificités, les cornes
sous une casquette, les sabots dans des bottines — mais comment cacher
un Minotaure ou une sphinge ? L’un est à jamais enfermé dans son
labyrinthe, l’autre meurt misérablement au musée de tératologie.
On comprend que
les personnages soient inquiets, furieux ou démoralisés. Ils ont baissé
les bras et vivent dans l’engourdissement infini de leurs rêves ou de
leur passé, piégés dans un temps qui s’étire, embourbés dans le temps
comme dans les lieux. Ils ont perdu la notion de la durée — depuis
combien de temps sont-ils au château ? Nul ne pourrait le dire, et pour
cause : en y arrivant, ils ont rejoint une part ignorée d’eux-mêmes.
Les lieux sont
des personnages et les personnages, des lieux. La décrépitude du
château répond à l’interminable agonie de la duchesse. L’instabilité du
temps et des lieux (le château se recompose sans cesse comme une œuvre
d’Escher) répond à celle de son plus ancien habitant, surnommé faute de
mieux l’Ectoplasme, « coincé dans un présent sempiternel », sur lequel
la réalité n’a pas plus de prise que le temps. C’est un des personnages
les plus touchants de ce roman, dans son désespoir de ne pouvoir vivre,
« à cause de l’éternité », pourrait-on dire, car si sa mémoire absolue
lui donne une connaissance parfaite du monde, il n’a rien vécu et se
désespère de n’être « pas vraiment un et raisonnablement invariable
comme chacun ».
Personnage clé,
sans doute, et qui nous introduit dans une autre lecture de l’œuvre :
un hommage à la littérature et, au-delà, une plongé dans l’imaginaire.
L’Ectoplasme est le lecteur universel, qui « essaie comme des chapeaux
toutes les destinées qui lui tombent sous les yeux ». Il est
inséparable du conteur, un écrivain réfugié dans le château et qui en
rompt la monotonie par des récits qui rebondissent de veillée en
veillée dans une sorte de boudoir anglais. Comme jadis Mathieu Chain
dans le roman éponyme, Brumaire est un écrivain échoué dans ce château
improbable. Son identité cette fois ne fait aucun doute : par son
physique, par ses œuvres, il évoque irrésistiblement Georges-Olivier
Châteaureynaud. Effacé dans ses premières apparitions, il prend de plus
en plus d’importance et, au détour d’une conversation sans sujet
véritable, donne quelques clés d’interprétation.
Le monde où
vivent ces personnages est d’abord celui des livres, du cinéma, de la
fiction. Le jeune Astérion perdu dans son labyrinthe est un hommage à l’Aleph
de Borges — le lecteur identifiera çà ou là quelques clins d’œil de ce
type ! Si l’on croise au passage des personnages des précédents romans
de l’auteur (Mathieu Chain, Lola Balbo…), on traverse au hasard des
pérégrinations la place Cornélius Farouk, dédiée à un fantôme ironique
de la littérature française… Mais la fiction devient structurante
lorsqu’elle conditionne les comportements des personnages — s’il faut
choisir une arme pour se défendre, on brandira un browning comme sur
les affiches des films policiers. Et le gamin Minotaure enfermé dans
son labyrinthe évoque au protagoniste son éducation dans un pensionnat
suisse.
Plus largement,
c’est l’imaginaire que met en scène ce château, l’imaginaire sans
lequel l’homme ne peut vivre et que, souvent, il préfère ignorer,
l’imaginaire dans toutes ses composantes : les fictions racontées par
Brumaire, bien sûr, mais aussi les mensonges dans lesquels s’enfonce
Alphan, ou les rêves, qui semblent avoir autant de réalité que les
péripéties de la vie… L’imaginaire dans lequel les personnages trouvent
refuge lorsqu’ils ont été blessés par la vie. « Nous constituons un
pittoresque club de frileux qui s’efforcent de se tenir chaud », avoue
l’un d’eux, on se frotte les uns aux autres pour soigner ses blessures
et on se raconte des histoires pour oublier le passé, comme si une vie
rêvée pouvait se substituer aux vies meurtries. Le château est la
concrétisation spectaculaire de ce réservoir de ce qui pourrait, ou
devrait exister. Tout ce qui est possible semble y avoir été remisé,
sans inventaire possible (un huissier chargé de le dresser en fait
l’amère expérience !), dans des pièces qui se multiplient à l’infini,
dans une géographie mouvante, où il suffit souvent de penser à une
chose pour se retrouver à l’endroit où elle existe. Selon son humeur,
on peut parcourir un couloir en plusieurs heures ou quelques minutes —
à la vitesse, en fait, de la pensée, ou de l’imagination. Aussi ne
faut-il pas s’étonner qu’il ne soit que la projection des personnages,
« hanté d’occupants issus, pour certains, de la mémoire d’Alphan ». Ou,
à l’inverse, que les personnages soient la projection de l’univers,
n’est-ce pas la même chose ? Les circonstances ont fait d’Alphan un
personnage de roman : « Un hasard romancier vous a jeté dans son roman
». À moins qu’il ne soit « captif d’un rêve éveillé de son père ».
L’imaginaire inclut ce qui l’inclut : Escher, Escher, quand tu nous
tiens…
Si l’on entre
dans ce royaume ignoré, il devient impossible d’en sortir, car il finit
par nous faire douter de la réalité du monde quotidien, tant il semble
plus réel que le réel. « Ailleurs, le monde n’existe pas vraiment, non
? C’est une sorte de… de racontar ! » Alphan, reclus dans le château,
finit par considérer le reste du monde comme un théâtre illusoire, «
les protagonistes de la comédie du pouvoir au sein d’Écorcheville lui
apparaissaient sous l’aspect de marionnettes aux voix criardes, amusant
la galerie depuis un castelet dérisoire. » Ce rapport au monde et à l’imaginaire
ancre Georges-Olivier Châteaureynaud dans la Nouvelle Fiction, à
laquelle il participa dans les années 1990. En fin de compte,
l’immersion dans l’imaginaire nous interroge sur le sens de la vie.
L’univers dans lequel nous vivons est soumis au hasard. Face au
caractère « foncièrement aléatoire de l’existence », les occupants du
château découvrent une « nécessité arbitraire » qui se substitue au
hasard. Ici, enfin, on peut « se croire missionné, prédestiné, absous
quoi qu’il arrive, du moment qu’on a rempli le contrat signé avec
soi-même ». Entre hasard et nécessité, tout prend sens.
Cette «
nécessité arbitraire », qui panse les plaies du hasard sans nous
soumettre à un destin inexorable, délivre les personnage d’une «
solitude ontologique », celle d’une existence que l’on ne vit pas
vraiment, dont on est trop souvent le spectateur. Tel l’ectoplasme qui
ne peut vivre que par le biais de ses lectures, les personnages ont
peur de ne pas ressentir pleinement les événements. Au fond, Alphan qui
craint de ne pas s’émouvoir comme il le devrait de la mort de sa
fiancée, semble incapable d’un lien concret et direct avec ses proches
et finit par se demander qui attache une réelle importance à sa
présence sur Terre. « Le monde était donc un désert, tout juste peuplé
de quelques silhouettes qui pouvaient à tout instant s’évanouir ».
Telle est la « solitude ontologique » qui affecte tous les personnages.
Les monstres venus d’au-delà du Styx n’ont pas leur place à
Écorcheville. Les plus touchants de ces personnages sont en quête
désespérée d’amis — l’Ectoplasme incapable de vivre ou Astérion, le
Minotaure reclus de peur d’être enfermé dans un musée. Ou dans
l’impossibilité de nouer une relation sincère, enfermés dans le secret
de leur vie passée, comme le médecin terroriste, ou dans celui d’un ami
à protéger, comme Ekatarina qui ne peut révéler l’existence du
Minotaure. Au fond, ils sont terriblement humains, ces monstres crachés
de l’au-delà, ces hommes échoués aux limites de l’univers, qui se
retrouvent à la frontière entre leurs deux mondes.
Mais, surtout,
au-delà de l’analyse et des références littéraires, on goûtera ici la
somptueuse écriture d’un écrivain qui maîtrise parfaitement toutes les
ressources de sa langue, de la notation brève aux phrases sinueuses,
des descriptions aux dialogues, de l’évocation d’atmosphères (repas,
soirées, averses…) à l’irruption des événements (assassinat, crash,
incendie…), avec des formules percutantes, teintées d’ironie ou de
morosité. Un gigolo vieillissant n’est plus « qu’un phénix très
intermittent », un mélancolique « reprend du poil de la bête de scène
», les journaux lus évoquent les reliefs d’un repas — « miettes de
mots, épluchures d’articles et phrases rongées comme des os »… Chacun y
puisera ses trésors comme les personnages emportent un souvenir
privilégié du château détruit de l’imaginaire.
Voir aussi : Petite suite cherbourgeoise, Singe savant
tabassé
par deux clowns, L'autre rive, Le corps de l'autre, Résidence dernière, Le goût de l'ombre. Aucun été n'est éternel, De l'autre
côté d'Alice, Contre la perte et l'oubli de tout.
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Françoise Henry, Loin du soleil, éditions du Rocher, 2021.
« C’est fou
comme on se laisse faire par ce que pense, ou veut, la majorité. » La
remarque est glissée, anodine, dans les premières pages. Elle pourrait
être une des clés de ce roman tout en pudeur, en signes discrets, en
incertitudes. Du principal protagoniste, nous ne connaissons d’abord
que ses lunettes rondes, aux grosses montures, pour cacher ses yeux en
amande, trop éloignés l’un de l’autre. Rien ne sera dit. À nous de nous
demander pourquoi il a été un enfant retardé et pourquoi, à trente ans,
il est toujours analphabète. Pourquoi il est si candide, prenant les
expressions au pied de la lettre (quand on lui dit que sa mère est au
ciel, il imagine qu’elle est partie en avion) et prêt à se laisser
dépouiller par son oncle de son héritage.
Loïc est « un
cas de mobilité sociale descendante, c’est comme ça qu’on dit,
paraît-il ». Le roman, écrit à la deuxième personne du singulier, le
suit durant ses trente premières années de revers en revers. Enfant de
l’amour, mais orphelin de mère à six ans ; grandissant entre un père
alcoolique et une belle-mère qui le dédaigne, il endosse avec
résignation le rôle d’idiot du village, « un peu voleur sur les bords,
ingérable, ne travaillant pas à l’école, indiscipliné, et ne tenant
jamais en place sur ta chaise ». S’il s’enfuit pour se réfugier chez
ses grands-parents maternels, c’est pour se trouver persécuté par un
oncle qui le considère comme un intrus. Comment pourrait-il se défendre
? « Toi, tu recevais sans broncher ces coups de poing vocaux. » Pour
l’entourage, il est disparu soudainement, « comme on efface un nom sur
un tableau ». Tout juste parvient-il à se trouver un père d’emprunt, le
ramoneur du village qui l’emploie au noir. Au moins gagne-t-il un peu
d’argent « à la suie de son front ».
L’alcoolisme du
père, l’illettrisme du fils, la violence conjugale, la marâtre
mauvaise, l’oncle odieux : on se dit que c’est trop, qu’on noircit le
tableau à souhait. Bien sûr, on est « dans la campagne profonde », à
l’époque où l’on compte en francs, mais il y a la voisine,
aide-soignante pour personnes âgées, habituée peut-on croire à dépister
les cas sociaux… C’est alors qu’on se rend compte qu’on est parti sur
une fausse piste. Non, on n’est pas dans un roman d’Hector Malot. On
s’est laissé entraîner (avec la complicité malicieuse de l’auteur) par
ses souvenirs littéraires. La mère de Loïc était surnommée la « Madame
Bovary du coin », mais par les « intellectuels estivaux » (au temps
pour nous !). Le père, couvreur alcoolique tombant du toit, nous a fait
penser à Zola ; la spoliation d’héritage, à Balzac. Mais nous ne sommes
ni dans Ursule Mirouët, ni dans l’Assommoir !
Alors on repense
à la petite phrase du début… « C’est fou comme on se laisse faire par
ce que pense, ou veut, la majorité. » Tel est le sujet du roman : non
l’histoire de Loïc (le « tu »), mais celle de sa voisine (le « je),
l’observatrice, Greta, qui observe, écoute, mais imagine, aussi, ce
dont elle n’a pas eu connaissance. Elle souffre d’une maladie
orpheline, une photodermatose de la peau, qui lui interdit toute
exposition aux ultraviolets, donc au soleil. C’est elle qui reste « loin du soleil », au sens propre, quand Loïc l’est au sens figuré. Un personnage de l’ombre,
à l’opposé de Nadine, la mère de Loïc, qui s’exposait au soleil « à en
mourir ». Le parallélisme est manifeste, et significatif. Nadine, la
jeune femme solaire, « montée au ciel » en laissant Loïc démuni ;
Greta, vouée à la pénombre, qui endossera un rôle maternel, comme « une
subrogée fantôme ».
Car Greta
elle-même ne peut concevoir sa photodermatose comme une fatalité. «
Pourquoi ai-je cette maladie ? Quelle punition, et pour quel crime ? »
Devoir se cacher de la lumière : n’est-ce pas plutôt la punition de
celle qui n’a pas voulu affronter la réalité ? De petites notations
nous mettent la puce à l’oreille. Loïc vole-t-il un billet de dix
francs ? « Je ne veux rien savoir de plus. » Son père revient-il d’une
cure de désintoxication ? « Je faisais comme si je ne savais pas ». Quant à ce que vit le garçon presque sous ses
yeux : « Quand on soupçonne un drame il arrive qu’on fuie, pour ne pas
mettre les pieds dedans. » Le roman sera celui de la fuite de Greta, plus que
de la disparition de Loïc : ce n’est que dans les dernières pages qu’elle endossera
véritablement le rôle qui lui est dévolu.
Et plus
largement, c’est le drame de toute la famille, de tout le village. Le
père refuse de voir son problème d’alcoolisme et, quand on le lui
montre, il se trouve « interdit de déni » ! Les voisins parisiens
retournent à la capitale. Les voisins, à leur quotidien. « On a de
grands élans comme ça, on a les yeux embués quand on en parle, puis on
se retrouve vite coincé dans ses habitudes. » Narré par une femme qui
doit fuir la lumière, le roman tout entier est celui de l’aveuglement
volontaire.
Voué à un «
ensevelissement programmé », Loïc parviendra-t-il à échapper à son
destin ? Le roman nous laissera prudemment dans l’incertitude. Deux
mouvements opposés y maintiennent la tension. Tantôt, on insiste sur la
déchéance du père et le salut du fils. Tantôt, sur le parallélisme
entre leurs destins — Loïc se met à boire comme son père, il devient
couvreur comme lui… Ce n’est peut-être pas le principal. L’important,
c’est que celui qui n’était rien — un « mauvais souvenir » qui «
gâcherait la pellicule » — soit devenu quelqu’un. Pour son oncle, un
héritier, qui menace son propre héritage (et peu importe, en fin de
compte, s’il obtiendra gain de cause ou non). Pour son père, un «
compagnon de beuverie » : « C’est une place terrible, mais c’est
toujours une place. Même bradée, tu la prends. » Exister, c’est aussi
se retrouver un jour dans la lumière, cesser d’être « loin du soleil ».
Voir aussi
: Le
drapeau de Picasso, Plusieurs mois d'avril, Sans garde-fou, Juste avant l'hiver. Jamais le droit de crier.
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