Symbolon
Une entité abstraite peut être évoquée par un exemple, une allégorie (avec ses attributs), un emblème (avec sa devise), un symbole.
Le symbole, représentation d’une entité abstraite par un objet, un
animal, un végétal... en vertu d’une correspondance analogique
traditionnelle, se ressent fortement de son étymologie grecque, le symbolon.
I. L'étymologie et les mots : symbolon, tessère d'hospitalité, endenture...
II. Du Symbolon au symbole
III. Identifier un symbole
I. L'étymologie et les mots :
symbolon, tessère d'hospitalité, endenture...
Le symbolon
En Grèce, on nomme symbolon
un signe de reconnaissance obtenu en brisant en deux un objet, souvent
un tesson de poterie. Chaque contractant emporte un morceau. Pour
liquider le contrat, chacun doit produire son symbolon, qui doit s’emboiter parfaitement à celui du co-contractant.
Le tessère d'hospitalité
Le tessère d'hospitalité
remplit le même rôle, de façon plus sophistiquée. C'est un objet
fabriqué, en ivoire, en bois... comportant deux parties qui s'emboitent
parfaitement l'une dans l'autre. Il peut prendre des formes diverses
(main, poisson, tête de bélier...) et contenir, sur la partie non
sculptée, les noms des contractants. Il est produit en signe de
reconnaissance d'un pacte public ou privé. Les hôtes (xénoi)
sont liés par un devoir d'accueil (logement, repas le premier soir,
provisions pour les autres jours, cadeau de départ) formalisé par le
tessère. Lorsque le pacte de solidarité est rompu, les deux parties du
tessère sont brisés. Le tessère d'hospitalité publique peut se conclure
entre deux villes, entre deux peuples, ou entre un citoyen et un autre
peuple.
L'endenture
Cette pratique est restée longtemps en usage. En Angleterre, par exemple, les "endentures"
(ou "indentures") étaient des contrats rédigés en deux exemplaires sur
un même parchemin, qui était ensuite découpé en "dents" qui devaient
correspondre les unes aux autres pour authentifier le contrat. Ces
pratiques sont connues pour des contrats d'apprentissage (ci-dessus,
contrat d’apprentissage pour 8 ans, 1645, York, Merchant Adventurers'
Hall), de domesticité, d'engagement militaire...
II. Du Symbolon au symbole
Le sens le plus courant du terme, au moyen âge comme à l'époque classique, renvoie à un sens un peu particulier du terme : symballô, en grec,
signifie "mettre ensemble", "rassembler". C'est bien l'idée de réunion qui
est à l'origine du symbole matériel, le tessère d'hospitalité. Mais dans un autre sens, on parle, chez les chrétiens, du
"Symbole des apôtres", les différents articles du Credo que les apôtres
ont rassemblés lorsqu'ils s'étaient réunis pour définir les fondements
de leur foi. Par la suite, on a considéré que cet article de foi était
comme la "marque" du chrétien qu'il recevait comme le soldat recevait
un jeton. Ce sens, le plus courant au moyen âge et à l'époque classique, ne nous intéresse pas ici.
Le symbole, tel que nous l'entendons, doit beaucoup aux réflexions du
pseudo Denys l'Aréopagite, dont l'œuvre, composée au Ve ou VIe siècle,
a été attribuée à un disciple de saint Paul converti sur l'Aréopage
(assemblée) d'Athènes au Ier siècle. (Ac 34, 17). Autant dire que ce
texte, d'une haute tenue philosophique et théologique, d'influence
nettement néo-platonicienne, a joui d'une large autorité.
Dans le Livre de la hiérarchie ecclésiastique,
Denys explique que « les symboles sensibles servent à nous élever,
selon nos forces, vers l’ineffable unité de Dieu » (I, 2). Ils «
offrent, comme en un miroir matériel et accessible aux regards humains,
l’objet énigmatique de sublimes contemplations » (III, 1). Ce sont donc
des objets visibles, perceptibles par nos sens humains, qui nous
permettent d'accéder à des réalités supérieures, spéculatives,
contemplatives et en fin de compte divines. Par exemple, le lion, censé
pour les bestiaires dormir les yeux ouverts, est-il le symbole du
Christ, qui sur la croix dormait dans son corps tandis que sa nature
divine veillait. On voit le rapport avec le symbolon
antique : Il existerait un lien essentiel entre la réalité terrestre
(le lion) et la réalité céleste (le Christ). Ce lien a été brisé comme
le symbolon, il appartient à l'homme de le reconstituer pour rétablir le pacte primitif qui unit la terre au ciel.
Ainsi Furetière (1690)
définit-il le symbole : "Espèce d'emblème ou représentation de quelque
chose morale, par les images ou propriétés des choses naturelles". Le
symbole fait sens parce qu'il possède la qualité morale de ce qu'il
représente ("propriétés"). Le chien est fidèle, il est le symbole de la
fidélité — l'exemple classique est celui du chien qui se laisse mourir
sur la tombe de son maître (ci-dessus, dans le Bestiaire d'Oxford).
En revanche, l'allégorie est neutre, elle ne prend sens que par son
attribut, de même que l'emblème, qui ne prend sens que par sa devise.
La distinction, dans bien des cas, peut sembler fort théorique : si le
chien est le symbole de la fidélité, une femme accompagnée d'un chien
sera l'allégorie de la fidélité... Mais cette conception exprime la
conviction platonicienne d'une unité fondamentale entre le monde
visible et invisible, matériel et spirituel.
On parle aussi de "méthode symbolique" (ce que l'on désigne aujourd'hui par "méthode typologique")
lorsque des épisodes de l'Ancien Testament sont réunis à des épisodes
du Nouveau Testament, qu'ils préfigurent. Ici aussi, l'explication se
trouve chez le pseudo Denys : L’Ancien Testament "peint la vérité sous
des symboles, que [le Nouveau] montre dans sa réalité" (III, 5).
III. Identifier un symbole
Le symbole, ambivalent, se prête mal à la recension systématique. Le
chien, symbole de fidélité, peut aussi être symbole de l'hérétique
relaps, qui retombe dans ses erreurs, car il retourne à son vomi ! Le
symbole dépend aussi des croyances et des différences culturelles. Plus
personne aujourd'hui ne croit que le lion dort les yeux fermés ! Mais
comme il est censé incarner des archétypes universels, le symbole a
donné lieu à des tentatives de rencesions globales qu'il faut envisager
avec circonspection.
Cette grandes recensions sont utiles si on les consulte avec prudence,
se méfiant notamment des généralisations abusives et des amalgames
hâtifs entre traditions éloignées.
On pourra avec ces restrictions consulter avec profit le Dictionnaire des symboles de Chevalier et Gheerbrant (Laffont, 1969 et coll. Bouquins) et le Lexique des symboles d'Olivier Beigbeder (coll. Zodiaque).
Plus sûr, mais déjà ancien, sera pour la culture occidentale le Dictionnaire des symboles chrétiens d'Édouard Urech (1972).
Excellents également, mais un peu vieux et non disponibles en français, les ouvrages de Gerd Heiz-Mohr (Lexikon der Symbole, Bilder und Zeichen der
christlichen Kunst, Köln, Diederich, 1972) de George Ferguson (Signs and symbols in christian Art, Oxford
University Press, 1973).
Le Symboles et Allégories de Mathilde Battistini (traduit
de l'italien par Dominique Férault, Paris, Hazan, 2004) embrasse une vaste matière en un format
compact. Il peut rendre beaucoup de services, sa consultation est aisée et
attrayante (une courte notice explicative et de nombreuses
reproductions commentées). Il couvre l'art occidental du XIIIe
siècle à nos jours. Vu
l'ampleur du sujet, l'ouvrage est très succinct, les
explications
sont trop souvent péremptoires et très
résumées,
ce qui peut entraîner une caricature, voire une erreur
d'interprétation. Le mélange des époques peut
laisser croire que la signification des attributs est invariable.
Symboles, allégories et attributs
semblent constituer un alphabet crypté dont le sens pourrait
être
déchiffré une fois pour toutes. De surprenantes erreurs
se sont glissées dans
les références et la description de certains
thèmes
classiques. Pour toutes ces raisons, il faut l'utiliser avec
circonspection malgré la qualité et la richesse de
l'ensemble.
Ne pas oublier que les symboles ont fourni des attributs
d'allégories et des éléments d'emblèmes. Les livres et sites les
recensant seront aussi précieux.
Exemple d'utilisation abusive :
Il s'agit ici de Frida Kahlo, Unos cuantos piquetitos (quelques petites piqûres), 1935, Mexico, Museo Dolores Olmedo.
Dans un mémoire d'étudiant, je relève : "En Égypte, une colombe noire était le hiéroglyphe de
la femme qui reste veuve jusqu’à sa mort. Cette colombe noire peut être
considérée comme l’éros frustré, la vie niée. Elle représenterait ici
la dislocation d’un mariage, la perte de l’amour à l’échelle infinie."
L'interprétation vient manifestement d'une lecture non contextualisée de Chevalier / Gheerbrant
: "En Égypte, d’après Horapollon, une colombe noire était le
hiéroglyphe de la femme qui reste veuve jusqu’à sa mort. Cette colombe
noire peut être considérée comme l’éros frustré, la vie niée" (p.
671). Une telle interprétation n’est valable que si un lien direct peut
être établi entre Frida Kahlo et le symbolisme égyptien. Or l'on sait
que ce tableau a été inspiré par le meurtre d’une femme infidèle par
son mari. Au tribunal, le mari assassin se défend en disant que
"c’étaient seulement quelques petites piqûres". Frida Kahlo a donné aux
personnages les visages de sa sœur et de
Diégo, dénonçant ainsi la douleur qu'elle a ressentie lors de leur
liaison. Dans la première ébauche, il n'y a qu'une seule colombe avec
cette inscription issue d'une chanson populaire : "My sweetie doesn’t love me anymore". L'apparition de la colombe noire pourra être analysée dans ce
contexte sans recourir au symbolisme égyptien. L'opposition entre le
blanc et le noir est en revanche pleinement significative.