La méthode typologique
Définition et exemples
Origine et développement
Comment représenter la démarche typologique ?
Utilisation de la typologie dans l'iconographie
L'art du détail
Bibliographie
Définition et exemples
La méthode typologique (aussi appelée allégorique, symbolique, doctrine
de la concordance) est une lecture de l'Ancien Testament à la lumière
du Nouveau. L’Ancien Testament préfigure le Nouveau. Il contient des types (ou préfigures) annonçant les thèmes (antitypes, figures) du Nouveau.
Exemple : le baptême du Christ (Nouveau Testament) est annoncé par la
traversée de la mer Rouge (Ancien Testament). Dans les deux thèmes, on
passe d'un monde ancien à un monde nouveau par la purification de
l'eau. Le parallélisme peut être poursuivi dans les scènes qui suivent
cet épisode :
Traversée du désert par les Juifs <---> Retraite du Christ dans le désert
(quarante ans) <---> (quarante jours)
Tentations des Juifs <---> Tentations du Christ
Moïse reçoit les lois <---> Premier sermon du Christ
sur le mont Sinaï <---> sur la montagne
Idée générale : dans la perspective chrétienne, il n'y a qu'une seule
parole, celle de Dieu. Les deux Testaments disent donc la même chose,
l'un sous forme cryptique, l'autre dévoilée. La volonté
démonstrative est clairement antijudaïque et se retrouve dans la
littérature du temps : dans les mystères de la
Nativité, les Juifs sont appelés à témoigner un à un par leurs
prophètes. Ils doivent reconnaître qu'ils ont été aveuglés : tout était
contenu dans leurs textes sacrés, mais ils n'avaient pas su le lire.
Les types ou préfigures (faits antérieurs à l'Incarnation) se réalisent dans les antitypes ou figures (vie du Christ). Les scènes de l'Ancien Testament sont des préfigures du Nouveau.

Hippolyte Flandrin, La Nativité, Adam et Eve.
1856.
18.5x32 cm. Esquisse pour l’église Saint-Germain des Prés.
Paris, musée
du Louvre.
Noter le parallélisme entre la naissance du Christ (figure) et le péché originel (préfigure).
La nouvelle Ève (Marie) correspond à l'ancienne (Ève)
Mais il y a aussi volonté d'opposition : Marie rachète le péché d'Ève. Cela se marque dans les
attitudes (Marie couchée, Ève debout), dans les vêtements (Marie habillée, Ève nue), les
rapports à la divinité (Ève se cache le visage, Marie regarde son fils)...
Origine et développement
Cette méthode est issue du Nouveau Testament
: le Christ est venu accomplir la Loi, pas l'abolir (Mt 5, 17). Cela se
comprend dans la pensée apocalyptique des premiers siècles :
le monde ne peut s'achever tant que les prophéties ne se sont pas
avérées. Le Christ vient donc les accomplir. Pour saint Paul, l'ombre
précède le corps, comme l'Ancien Testament précède le Nouveau (Col 2,
17). Jésus lui-même compare le poisson de Jonas aux Limbes où il doit
rester trois jours et trois
nuits (Mt 12, 40 : « Car tout comme Jonas fut dans le ventre du monstre
marin trois jours et trois nuits, ainsi le Fils de l’homme sera dans le
sein de la terre trois jours et trois nuits ») et sa croix au serpent
d'airain dressé par Moïse (Jn 3,14 : « Et comme Moïse a élevé le
serpent dans le désert, il faut que le Fils de l’Homme soit élevé /
afin que quiconque croit ait, en lui, la vie éternelle »).
Le serpent d'airain et la croix du Christ,
relevé du vitrail de
l'abbaye de Saint-Denis (vers 1140). J.C.B.
Les juifs (reconnaissables à leur
bonnet pointu) sont attaqués par des serpent de feu dans le désert.
Moïse (seul personnage nimbé) leur montre le serpent d'airain qu'il a
fait fondre et jucher sur une hampe (ici une colonne). Ceux qui le
regardent seront sauvés, ceux qui regardent les serpents de feu seront
perdus. Il s'ajoute ici une représentation de la crucifixion, le Christ
étant élevé sur la croix comme le serpent d'airain. Ainsi la typologie (serpent d'airain - Christ en croix) est-elle rendue sensible.
Le distique composé par l'abbé Suger, commanditaire de ce vitrail, précise d'ailleurs la signification typologique:
« Sicut serpentes serpens necat
aeneus omnes / Sic exaltatatus hostes necat in cruce Christus. »
«
Comme le serpent d'airain tue tous les autres serpents, Ainsi le Christ
exalté sur la croix tue ses ennemis ».
Cette méthode se développe dans le milieu hellénistique
d'Alexandrie dès le Ier siècle (Philon d'Alexandrie), mais surtout
grâce à Clément d'Alexandrie et Origène. Saint Hilaire, exilé en
Orient, la rapporte en Occident, qui verra les premières grandes sommes
au IVe-VIIe siècles : Ambroise, Augustin, Grégoire le Grand... L'époque
carolingienne en fera les résumés qui circuleront au moyen âge.
Elle constitue une des lectures possibles de la Bible, mais
pas la seule. On définit en effet dès Origène les trois, puis les quatre sens de l'Ecriture (XIIe-XIIIe siècles) :
- historique (l'histoire telle qu'elle est racontée est vraie)
- allégorique (ou symbolique, ou mystique : l'Ancien Testament annonce le Nouveau, c'est la méthode typologique),
- tropologique (l'anecdote contient une vérité morale valable pour l'âme humaine)
- anagogique (elle contient aussi un enseignement sur la vie éternelle).
Ainsi Jérusalem peut être la ville (sens historique), l'Église
militante (sens symbolique), l'âme chrétienne (sens tropologique) ou la
patrie céleste (sens anagogique).
Ces quatre lectures sont systématisées dans l'école de Saint-Victor à Paris aux
XIIe-XIIIe siècles, et résumés en deux vers mnémotechniques :
"Littera
gesta docet, quid credas allegoria / Moralis quid agas, quo tendas
anagogia"
"La lettre enseigne les action,
l'allégorie ce qu'il faut croire, le sens moral ce qu'il faut faire,
l'anagogie ce vers quoi on s'achemine"
On ajoute parfois une lecture mystagogique, qui concerne la
préfiguration de la liturgie (essentiellement de l'eucharistie) : le
sacrifice d'Abel, l'offre par Melchisédech de pain et de vin, le
miracle de Cana, la multiplication des pains, la Cène... préfigurent le partage du pain et du vin à l'office.
Comment représenter la démarche typologique ?
• Le livre :
L'Écriture est transmise par un personnage de
l'ancienne loi (ici, la Synagogue) à la
Nouvelle (ici, saint Jérôme, traducteur de la Bible en latin).
L'ancienne loi est écrite sur un rouleau (comme c'est toujours le cas
dans les synagogues) et la nouvelle sur un codex (livre)
: le passage de l'ancien support au nouveau symbolise bien cette
tradition. À noter que le livre est ouvert : le texte traduit par
Jérôme a été révélé à tous.
Le rouleau concrétise ici la transmission. Une de ses extrémités est
tenue par saint Jérôme et descend le long de son corps ;
l’autre extrémité est tenue, sous la console, par la Synagogue aux yeux
bandés, qui détient la vérité mais ne peut la lire. Ce bandeau illustre
un passage du prophète Jérémie (Lm 5, 16) : "Nos yeux se sont
couverts (d'où le bandeau), la couronne est
tombée de nos têtes".

Chartres, cathédrale Notre-Dame,
portail méridional, baie de droite
(portail des confesseurs),
statue colonne de l’ébrasement (XIIIe
siècle). Photo JCB
• Le voile :
Ici, Mathieu rédige son évangile en regardant
dans le livre ouvert par
l’ange ; sur son lutrin est sculptée une synagogue aveugle (bandeau sur
les yeux) qui montre du doigt les livres (fermés) qu’elle ne sait pas
lire. Toujours dans le cadre de la polémique antijudaïque du
christianisme médiéval, l'Ancien Testament contenait la vérité voilée.
À la mort du Christ,
le voile du Temple s'est déchiré... sauf pour la Synagogue, qui garde
les
yeux bandés ! Cette métaphore traduit la croyance en une vérité unique,
révélée aux seuls chrétiens.
Cette conviction s'exprime dans des vers mnémotechniques :
"In Veteri Testamento Novum latet, in Novo Vetus patet." (Augustin).
"Le Nouveau Testament est caché dans l'Ancien, l'Ancien devient évident dans le Nouveau"
"Quod Moyses velat Christi doctrina revelat;
Denudant legem qui spoliant Moysen"
"Ce que cache Moïse, la doctrine du Christ le révèle.
Ceux qui dépouillent Moïse, dévoilent la Loi."
(Suger)

Livre d’heures dit de Rohan, 1418,
Paris, B.N.F., Ms Lat. 9471, fol. 21
r°
• Les prophètes
Lorsqu'ils sont mis
en rapport avec les évangélistes ou des apôtres, ils symbolisent la
vérité cachée dans des prophéties et qui doivent se réaliser dans les
temps nouveaux. La liste traditionnelle des prophètes est remaniée
pour faire correspondre les nombres :
- les douze "petits prophètes" peuvent dès lors correspondre aux douze apôtres (par exemple à Notre-Dame d'Amiens) et
- les quatre "grands prophètes" aux quatre évangélistes. Parfois les
prophètes portent la croix (par exemple : la croix de Saint-Bertin à Saint-Omer, le puits
de Moïse de Sluter à la chartreuse de Champmol...), et parfois ils portent
les évangélistes.
L'exemple de la cahtédrale de
Chartres est célèbre : sur cette verrière, les quatre évangélistes sont sur les épaules des
quatre grands prophètes... Ce vitrail est souvent rapproché de la citation
suivante : « Nous sommes des nains portés sur les épaules de géants »
Bernard de Chartres (XIIe siècle), de sens cependant plus large (pour Bernard de Chartres, les «
géants » sont les anciens)
Chartres : lancettes du transept
méridional (XIIIe siècle).
Isaïe / Matthieu ; Jérémie / Luc ; Ézéchiel
/ Jean ; Daniel / Marc.
• Le moulin mystique
Le célèbre chapiteau de Vézelay semble à première
vue un moulin normal
: un homme apporte du grain qu'il verse dans la trémie tandis qu'un
second récolte la farine dans un sac. Mais un détail nous surprend :
l’homme de droite a des traits bien spécifiques, qui évoquent plus un
portrait qu'un personnage neutre. Il a en fait le type physique de Paul
:
calvitie frontale plus ou moins prononcée, barbe droite et en
pointe,
nez aquilin. Ce détail nous met sur la voie : il est
admis que ce chapiteau traduit dans la pierre un vitrail de Saint-Denis
aujourd'hui
détruit, mais dont l'abbé Suger nous a laissé la description : « L'un
de ces vitraux représente l'apôtre Paul tournant la meule tandis que
les prophètes apportent leurs sacs. » C'est bien ce que nous voyons ici
: le prophète apporte le sac de grain dont Paul récolte la farine. Le
sens est expliqué par le
distique suivant qui devait être inscrit sur le vitrail : « En tournant
la meule, ô Paul, tu sépares la farine
du son. Tu révèles le sens profond de la loi mosaïque [de Moïse]. De tant de
grains est fait le vrai pain sans son, éternelle nourriture pour nous
et les anges. » (Suger, Mémoire sur son administration abbatiale, ch. XXXI).
Par ailleurs, ce thème rappelle une inscription sur le livre tenu par saint Paul à
Saint-Trophime d'Arles : « la loi de Moïse cache ce
que la loi de Paul dévoile, maintenant le grain donné au Sinaï est
transformé en farine ». Ainsi qu'une formule de Vincent de Beauvais : « La nouvelle loi est incluse dans l'ancienne comme le grain dans l'épi. »
Le thème est donc bien attesté dans la littérature et l'art contemporains du chapiteau.
Vézelay, basilique Sainte-Madeleine, chapiteau de la nef, XIIe siècle.
Utilisation de la typologie dans l'iconographie
Où trouve-t-on des scènes de l'Ancien Testament préfigurant le
Nouveau ? Mises à part des peintures de l'hypogée sous la via latina
(IVe s.), où
Grabar trouve "évident" le rapprochement entre des scènes des deux
Testaments (Le premier art chrétien),
on rencontre pour la première fois des scènes typologiques à l'église
Saint-Sabine, à Rome, datée de la première moitié du Ve s. Sur la porte en
bois, des scènes de l'Ancien Testament sont mises en parallèles avec
des scènes du Nouveau. Les deux battants d'une porte resteront durant tout le moyen âge un support privilégié de la typologie.
C'est surtout dans l'art des cathédrales après 1140 que la méthode
symbolique influence considérablement l'art. Après la consécration du chœur de
Saint-Denis en 1144, dont les vitraux
développent ces parallèles, on les retrouve sur les vitraux de
Chartres, du Mans, de Tours, de Bourges, de Lyon, de Rouen... Les
ateliers d'émaux mosans et germaniques les utilisent largement (le plus
bel exemple est le retable de Klosterneuburg, en 1181, signé par
Nicolas de Verdun).
Aux XVe-XVIe, et surtout dans l'art germanique et flamand, on aime
ajouter à des tableaux représentant une scène de l'ancien testament de
petits éléments (chapiteau, pièce d'orfèvrerie...) en rapport avec la
scène principale (voir point suivant). Cet art du détail se nourrit des livres compilant les
typologies, souvent illustrés, comme la Bible des pauvres, les Bibles moralisées ou le Miroir du salut humain.
Les scènes typologiques sont plus rares à partir du XVIe siècle. Un bel
exemple peut se trouver à la chapelle Sixtine. Dans la première
campagne de décoration, la vie de Moïse et celle du Christ était mises
en parallèle sur les murs. Cela induisait un parallélisme entre la vie des Hébreux "sous la loi" (sub lege) et des chrétiens sous la Grâce (sub Gratia). Or, un troisième style de vie était attesté dans l'Histoire : celle des hommes de l'origine, avant la loi de Moïse, lorsqu'on vivait sous la loi de Nature (sub Natura ou ante legem).
Le plafond de Michel Ange vient combler cette lacune en ajoutant des épisodes de la Genèse.
On trouve aussi de beaux
exemples de typologie chez le Tintoret à la Scuola di San Rocco à Venise et, au XVIIe
siècle, dans les vitraux de Saint-Étienne du Mont à Paris... Les jésuites
aiment encore cette disposition. Mais c'est un art didactique qui sort
peu à peu de la mode : la connaissance de l'Ancien Testament s'est
répandue (par l'imprimerie, par l'importance qu'il a prise chez les
protestants...) et les Bibles des pauvres
n'ont plus de raison d'être. L'idée se répand alors chez les
rationalistes que les Évangiles ont été écrits pour justifier les
prophéties de l'Ancien Testament. L'art typologique semble illustrer
cette thèse, à l'inverse de ce qu'ils veulent démontrer !
Cependant, nombre de scènes de l'Ancien Testament continuent à faire
référence à des épisodes du Nouveau. Même seul, un serpent d'airain ou
une grappe miraculeuse, dans une église ou un temple protestant,
peuvent symboliser la crucifixion.
L’art du détail
Van Eyck, La Vierge au chancelier Rolin, 1435, Paris, Musée du Louvre.
Huile sur bois, 66 x 62 cm.
Sans vouloir entrer dans cette «
conversation sacrée » entre un commanditaire et la Vierge à l’enfant,
sur laquelle beaucoup de choses ont été dites, remarquons les
chapiteaux qui surmontent les piliers de la fenêtre.
Du côté gauche, au-dessus de la tête du chancelier Rolin, les
chapiteaux sont parfaitement lisibles et illustrent le cycle du salut.
On identifie aisément, de gauche à droite, l'ange expulsant Adam et Ève
du paradis (l'ange a l'épée levée et Adam, nu, cache sa nudité de sa
main), le sacrifice d'Abel et de Caïn (Caïn offre les produits de
la terre et Abel offre un agenau), le meurtre d'Abel par Caïn,
l'arche de Noé au moment où celui-ci lâche la colombe, l'ivresse de Noé
(endormi, il laisse voir sa nudité, son fils cadet, Cham, s'en moque,
tandis que ses deux fils aînés, Sem et Japhet, se détournent et
le recouvrent). Ce cycle illustre les péchés de l'homme, mais aussi,
par l'arche de Noé, les moyens de son salut. Ils sont au-dessus
du chancelier, qui se présente comme un pécheur repentant, et se fie
pour son salut à l'enfant Jésus, le "nouveau Noé". Dans les tableaux
flamands du XVe siècle, les Vierges à l'enfant sont volontiers associées à
des représentations d'Abel tué par Caïn, première mort de l'histoire de
l'humanité. Ainsi celui qui apporte le salut (le Christ) est l'antitype
de celui qui a apporté la mort (Caïn).
Du côté droit, au-dessus de la tête de la Vierge, le chapiteau est plus
difficile à lire, car la couronne portée par l'ange masque la moitié du
personnage principal. On y voit un personnage agenouillé, vêtu d'une
longue robe, devant une armée de soldats en armes. La disposiiton des
personnages n'est pas sans rappeler une typologie de la Vierge racontée
par le livre des Juges, chap. 11. Jephté, en guerre contre les
Ammonites, fait vœu, s'il remporte la victoire, de sacrifier la
première personne qui sortira de sa maison à son retour pour venir à sa
rencontre. Sa fille se présenta la première. Elle accepta le sacrifice,
mais demanda un délai pour pleurer sa virginité avec ses compagnes.
Elle est devenue par cela une préfigure de la Vierge qui sacrifie sa
virginité pour permettre la victoire sur le Mal. Telle est la version
du Speculum humanae salvationis
(miroir de la salvation humaine), qui l'illustre par une scène
similaire : L'armée de Jephté sur la gauche, la fille agenouillée sur
la droite. Le lien avec la Vierge est assuré, mais des détails du
chapiteau laissent un doute sur l'identification : l'objet porté par le
personnage agenouillé semble un calice plus qu'un tambourin, plus
classique ; le glaive brandi par Jephté est absent ou, peut-être caché
par la couronne.
NB : pour d'autres exemples de détails typologiques dans l'art flamand et germanique des XVe - XVIe siècles, voir : Jérôme Bosch.
NB : pour une analyse générale du tableau, on peut se référer à la notice de Gérard Boittelle.
Bibliographie :
Jean Daniélou, Sacramentum futuri, Étude sur les origines de la typologie, Paris, 1950
H. de Lubac, Exégèse médiévale, les quatre sens de l’Écriture, Paris, 1959-1964.
Louis Réau, Iconographie de l'art chrétien, Paris, Presses universitaires de France, 1955