L'orbe
L'orbe est le symbole par excellence du pouvoir impérial sur le monde,
l'univers céleste (Christ empereur) ou terrestre (l'empereur germanique).
Valentinien Ier ? en costume militaire, bronze, IVe s. Barletta (Pouilles).
Impératrice Ariadne ? fille de Léon Ier. Florence, musée du Bargello. Ca 500.
On le trouve d'abord dans l'art impérial romain, où il symbolise la puissance sur le monde.
Dans l'art chrétien, l'orbe est surmonté d'une croix, marquant la
conviction que le monde entier est sous le pouvoir du Dieu chrétien, ou
qu'il a vocation à l'être.
L'armature métallique qui supporte cette croix, schématisée et réduite
à deux dimensions dans les images, évoque la carte de la Terre en TO
(ou OT)
Orbe impérial, Cologne, vers 1200. Vienne, Trésor de la Hofburg.
Qu'est-ce que la carte en TO (OT) ?
C'est une mappemonde qui schématise la partie habitée du globe terrestre (oecoumène)
sous forme d'un cercle (O) divisé en trois partie par un diamètre
horizontal et un rayon vertical (T). Ces traits correspondent également
au système hydrographique de la Terre : le cercle (O) représente le
fleuve Océan qui entoure le monde connu. Les trois barres du T sont le Don (Tanaïs), le Nil et la Méditerranée. Ainsi sont délimités les trois continents :
l'Asie par le Don (Tanaïs) et le Nil, l'Europe par le Don et la Méditerranée, l'Afrique par la Méditerranée et le Nil.
Isidore de Séville, Étymologies, manuscrit du XIe siècle,
Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 10058, fol. 154 v°
Cette conception est d'origine biblique intertestamentaire (Livre des jubilés, 167-140 A.C.N).
Dieu partage la terre en trois régions qui sont attribuées aux trois
fils de Noé. Il donne à Sem la meilleure part, l'Asie. Elle contient
le Paradis, Sion (centre du monde), le Sinaï (centre du Désert, où
Moïse a reçu les lois)... À Japhet il donne l'Europe, à Cham, l'Afrique.
Dans l'iconographie, on trouve ces cartes, plus ou moins schématisées, à
partir du VIIIe siècle, dans les manuscrits d'Isidore de Séville et de
Bède, et elles resteront inchangées jusqu'au XVe siècle. Elles
sont "orientées": l'Est au-dessus (à l'inverse des
cartes arabes, qui mettent le sud au dessus, pour que la Mecque soit le
sommet du monde, et à la différence des cartes modernes depuis le XVIe
siècle, qui placent le nord vers le haut de la carte, pour assurer
symboliquement la domination de l'Europe).
Psautier anglais du XIIIe siècle.
Londres, British Library, Add. Ms. 28681, fol. 9.
Au centre, Jérusalem (depuis 1110), et plus précisément le Temple, et
plus précisément l'autel des Holocaustes (cf Jg 9, 37; Ez 38, 12). Le
centre de la terre est relié, comme par un cordon ombilical, au centre
des cieux, l'étoile polaire, par une échelle cosmique, un arbre
cosmique, qui est l'arbre de vie, l'échelle de Jacob, la croix du
Christ. Le paradis est à l'Orient (depuis le Livre des jubilés, IIe s. A.C.N.; voir Isidore de Séville, Étymologies,
14, 3, 1) avec les quatre fleuves qui y prennent leur source (Gihon,
Pishon, Tigre et Euphrate). Ces fleuves sont bien identifiés : depuis
Ephrem le Syrien (IVe s.), on considère qu'ils passent sous
l'océan et ressurgissent à leur source respective.
Carte du monastère d’Ebstorf (Allemagne), vers 1235.
Reproduction ancienne (détruite en 1943)
La terre est identifiée à la nature humaine du Christ : de la
même façon que le monde est son corps divin, la terre est identifiée à
son corps, rond, avec la tête à l'est, les mains au nord et au sud, les
pieds à l'ouest. Jérusalem est son nombril.
L'homme étant à l'image de Dieu, la Terre, corps du Christ, correspond
au corps d'Adam. Cette conviction est aussi d'origine biblique : on la
trouve dans II Hén XXX et dans les livres sybillins, III, 24-26
: « Dieu façonna Adam aux quatre lettres, (…) [Il] complétait le
nom du levant, du ponant, du septentrion et du midi. » Le nom
d'Adam
est effectivement composé des quatre lettres correspondant aux points
cardinaux en grec :
Anatole = le Levant (est)
Dysis = le Couchant (ouest)
Arctos = la Grande Ourse (nord)
Mesembria = le Midi (sid).
Ainsi le macrocosme et le microcosme fusionnent et sa
représentation évoque le tournant de l'ère chrétienne : la crucifixion.
Le Christ est en effet écartelé aux quatre points cardinaux et le nom
d'Adam est reconstitué par un signe de croix. De la même façon que le
corps du Christ est écartelé sur le croix, le monde rond est écartelé
par les quatre points cardinaux, les quatre grands vents.
L'orbe correspond donc à la représentation du monde, où l'on trouve à la fois
- le corps du Christ
- le corps de l'homme (Adam)
- les trois grandes parties du monde (continents)
- le système hydrographique de la Terre
- ... et le nom même de la terre, OT pour Orbis Terrarum (cercle des terres : "C'est Lui qui est assis au-dessus du cercle de la terre", Isaïe 40, 22)
Le symbolisme de l'orbe
L'orbe symbolise au départ le pouvoir impérial, unique. Mais les rois
ont eux aussi voulu porter l'orbe, qui ne symbolise plus que leur
pouvoir sur leur royaume. Ainsi le roi de France porte-t-il un orbe
fleurdelysé.
L'orbe représente le monde, surtout dans l'iconographie des
XVe-XVIe siècle. On le rencontre dans des évocations de proverbes populaires :
- porter tout le poids du monde (être accablé de malheur)
- les rats qui grignotent le
monde (symbole de l'hérésie)
- faire tourner le monde autour de son pouce (n'en faire qu'à sa tête)
- le monde à l'envers (perte de toutes les valeurs traditionnelles)
- il faut se courber pour entrer dans le monde (il faut être humble quand on n'est pas puissant)
On les reconnaîtra aisément dans les quelques exemples qui suivent... volontairement dans le désordre...